par Dhara Ranasinghe et Virginia Furness LONDRES, 11 octobre (Reuters) - Les emprunts des entreprises de la zone euro seront davantage affectés que les emprunts d'Etat par le dénouement du programme de rachat d'actifs (QE) de la Banque centrale européenne (BCE), ce qui implique pour ces entreprises une hausse du coût d'emprunt et pour les investisseurs de les surveiller de plus près. La BCE doit en principe mettre un terme en décembre à son massif programme de rachat d'actifs obligataires (2.600 milliards d'euros), dit encore d'assouplissement quantitatif (QE), jugeant que l'évolution de la croissance et de l'inflation le lui permet. Dans les faits, ce dénouement est déjà en cours: les achats obligataires de la banque centrale ont diminué de moitié en octobre. Les conséquences ne seront pas les mêmes pour la dette corporate et la dette publique. Cette dernière restera soutenue pendant quelque temps grâce aux réinvestissements consécutifs à l'arrivée à maturité des emprunts détenus par l'institut d'émission. Plusieurs sociétés européennes constatent déjà des conditions moins clémentes pour emprunter ou se refinancer. Par comparaison avec les emprunts d'Etat, le coût d'emprunt des entreprises a augmenté de quelque 50 points de base cette année et l'encours de dette corporate à rendement négatif est au plus bas depuis juin 2016. La BCE a racheté pour 30 milliards d'euros de dette en septembre, dont 4,5 milliards de corporate, selon des estimations d'analystes. Avec la réduction de moitié intervenue ce mois-ci, on estime que les rachats de dette de sociétés seront de 2,5 milliards d'euros. En 2019, lorsque les rachats se limiteront sans doute aux réinvestissements de la dette échue, la proportion de la dette privée va sans doute diminuer beaucoup plus rapidement que celle de la dette publique. Suivant les données de la BCE, le montant de dette corporate arrivant à échéance dans les 12 prochains mois ne sera que de 470 millions d'euros par mois en moyenne, alors qu'il approche les 13 milliards d'euros pour les emprunts d'Etat, à peu près autant que ce que la banque centrale rachète actuellement. En outre, la BCE n'a pas encore donné les conditions précises de ses réinvestissements, en particulier avec les valeurs titrisées (asset-backed securities, ABS). Certains membres de la BCE conseillent de ne plus réinvestir dans la dette corporate et de placer l'argent ailleurs, a rapporté Reuters. "Ce qui préoccupe le marché, c'est que les réinvestissements (en dette corporate) en 2019 sont plutôt limités", dit Jeroen van den Broek, d'ING. (graphique interactif: https://tmsnrt.rs/2Nqxh3Z] https://tmsnrt.rs/2Nqxh3Z]) ) "LE PLUS MAL ÉVALUÉ" Une hausse des coûts d'emprunt pour les entreprises peut se traduire par une baisse d'activité dans les fusions et acquisitions ou encore les pousser vers des sources de financement plus traditionnelles, comme le prêt bancaire, disent banquiers et investisseurs. Ainsi, l'éditeur allemand Bertelsmann n'a pas trouvé preneur en mai pour un emprunt en euro à sept ans, après avoir proposé un prix de départ de 45 points de base au-dessus de la courbe des swaps, alors que cet emprunt était de base un "benchmark" sans grand risque. Bertelsmann est revenu en septembre avec une échéance un peu moins longue et en proposant 85 points de base. L'opération, qui a permis de lever 750 millions d'euros, s'est finalement faite à 65 points de base. "Des entreprises telles que Bertelsmann ont vu leur coût de financement exploser", constate Marco Baldini (Barclays Bank). "Il n'y a aucune indication claire pour ce qui est de la fin des effets du CSPP (programme de rachats d'obligations privées) sur le marché de la dette corporate". Banquiers et intervenants disent que cet élément commence à peine à se faire sentir sur le marché primaire. "Il n'y a pas eu beaucoup d'émissions depuis que le QE a été amoindri début octobre c'est pourquoi je ne pense pas que l'impact soit encore visible", note un banquier londonien. Le segment du marché le plus exposé est celui des 25 milliards d'euros d'emprunts à rendement élevé éligibles de justesse au programme QE de la BCE parce qu'ils ont une note d'investissement d'une seule agence, expliquent des banquiers. Cet accès à un financement bon marché s'est traduit par une multiplication anarchique du papier noté BBB- en Europe, devenu le segment "le plus mal évalué" du marché, observe Baldini. "RÉÉVALUATION RADICALE" Le programme QE de la BCE, lancé en mars 2015, n'a d'abord concerné que les marchés de la dette publique les plus gros et les plus liquides puis il a englobé la dette privée en juin 2016. Les économistes estiment que la BCE détient 20% à peu près de la dette corporate éligible et le quart environ de la dette publique éligible. Sans le coup de pouce de la banque centrale, les cours des emprunts reflèteront de plus en plus les éléments du marché, dit Edward Farley (PGIM Fixed Income). "Ce qui veut dire, en définitive, que les fondamentaux prendront plus d'importance et qu'il faudra qu'ils soient bons parce qu'il n'y aura plus personne pour pousser le marché de manière artificielle". En conséquence, les écarts de rendement entre dette corporate et dette publique se creusent et le pool de dette corporate en catégorie d'investissement et à rendement négatif se vide. (graphique interactif: https://tmsnrt.rs/2OzhvIJ https://tmsnrt.rs/2OzhvIJ)) "L'ensemble du marché de la dette corporate a subi une réévaluation radicale", a encore dit Baldini. Par anticipation de la fin du QE, l'indice en euro European Aggregate Corporate BBB a gagné 50 points de base de janvier à septembre, plus du double de son équivalent américain. Les obligations d'entreprise en catégorie d'investissement conservent une prime de QE et il est donc probable que les spreads vont encore augmenter, dit Stephen Caprio (UBS). Pour Farley, la fin du QE n'est pas mauvaise en soi car les prix reflètent plus précisément le risque. Auparavant, sa firme était "très sous-pondérée" en titres éligibles BCE car les spreads étaient très resserrés. "Les nouvelles émissions se font à présent à des niveaux plus près de la réalité que les niveaux comprimés par la BCE", explique-t-il. "Il y a plein d'occasions raisonnablement intéressantes qui tout simplement n'existaient pas auparavant". (Avec Balazs Koranyi à Francfort, Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Marc Joanny)
La dette corporate en première ligne avec la fin du QE de la BCE
information fournie par Reuters 11/10/2018 à 09:54
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