par Nazih Osseiran et Menna Farouk
Hazem Souleiman s'inquiète davantage du traumatisme psychologique dont il souffrira jusqu'à la fin de ses jours que du poids qu'il a perdu alors qu'il fuyait avec sa famille les frappes israéliennes sur la bande de Gaza.
"Je n'oublierai pas les cris des femmes et des enfants (...) Les corps calcinés me hantent. Les films d'horreur ne montrent pas ce genre de choses. C'est pourtant ce qu'il s'est passé."
A 26 ans, il vit désormais à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, dans une tente avec sa mère, sa femme et leurs huit enfants.
Contrairement à nombre de leurs voisins ou de leurs amis, ils sont en vie, mais cela ne signifie pas qu'ils sont indemnes.
"Ma santé mentale est très mauvaise et mes enfants ont constamment peur", a dit Hazem Souleiman.
Mona Abou Amer n'a pas dormi depuis des mois par peur que des bombes ne tombent sur la tente dans laquelle elle vit, à Khan Younès, avec son mari et leurs trois enfants.
Jeune mère, elle ne parvient pas à nourrir ses enfants.
"Mon lait ne coule plus aussi bien en raison du stress et je ne peux plus allaiter", a-t-elle dit à la Fondation Thomson Reuters. "Mon fils de quatre mois, Mahmoud, pleure tout le temps et je ne peux rien faire pour l'aider."
Un an après le début de l'offensive d'Israël dans la bande de Gaza, plus de 2 millions des habitants de l'enclave palestinienne ont "vécu ou été témoin d'événements violents et traumatisants", a déclaré Mohamed Abou Chaouich, qui travaille pour l'organisation caritative Medical Aid for Palestinians.
"Les mères sont particulièrement sujettes à une anxiété élevée car elles doivent protéger leurs enfants malgré la peur de la violence", a-t-il dit.
La plupart des Gazaouis ont été déplacés, certains jusqu'à 10 fois, depuis le début de l'opération israélienne, lancée après l'attaque meurtrière du Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre 2023, lors de laquelle 1.200 personnes ont péri et quelque 250 autres ont été prises en otage.
Selon les dernières données du ministère de la Santé de Gaza, 41.825 Palestiniens ont été tués dans l'offensive israélienne depuis cette date et 96.910 autres ont été blessés.
Selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), près de la totalité des 1,2 million d'enfants de Gaza ont besoin d'un soutien psychologique.
"Ils ont perdu le sentiment d'appartenance à leur famille car ni leur père, ni leur mère, personne ne peut leur apporter un sentiment de sécurité", explique Israa al Kahouadji, coordinatrice en santé mentale et soutien psychosocial basée à Gaza pour l'organisation Save the Children.
"Personne ne peut les protéger."
BESOINS EN SANTÉ MENTALE
Save the Children a déclaré au mois de juin que jusqu'à 21.000 enfants étaient présumés disparus dans la bande de Gaza, dont 17.000 enfants non accompagnés ou séparés de leurs familles et 4.000 enfants enfouis sous les décombres. On estime que de nombreux enfants sont également enterrés dans des fosses communes.
Selon l'organisation, d'autres enfants ont été victime de disparition forcée, et certains auraient été détenus et transférés hors de l'enclave au vu des informations faisant état de mauvais traitements et de tortures.
Les survivants courent le risque de développer des problèmes psychosociaux et de santé mentale, a dit Mohamed Abou Chaouich.
Les traumatismes que vivent les enfants pourraient définir leurs vies et contribuer à provoquer des maladies mentales, allant de problèmes cognitifs ou comportementaux à des maladies chroniques, a-t-il ajouté.
Les enfants blessés sont particulièrement affectés par les problèmes de santé mentale.
L'Unicef a rapporté au mois d'avril des données du ministère palestinien de la Santé montrant que plus de 12.000 enfants avaient été blessés dans la bande de Gaza depuis le mois d'octobre 2023.
PETITES VICTOIRES
Pour la coordinatrice Israa al Kahouadji, le sentiment de sécurité est ce qui compte le plus pour la santé mentale des enfants. Ce sentiment a "complètement disparu" lorsque les enfants ont perdu leur maison durant le conflit, a-t-elle dit.
Afin de lutter contre les effets provoqués par des traumatismes importants et prolongés, Israa al Kahouadji offre des séances de soutien psychologique et travaille avec enfants afin de les aider à arrêter d'avoir recours à la dissociation pour survivre dans des conditions de guerre.
Elle se demande toutefois s'il est possible de lutter contre la brutalité de la guerre, alors qu'elle et ses collègues sont exposés aux mêmes conditions que leurs patients.
Ils ne peuvent souvent espérer remporter que de petites victoires.
"Nous voyons des choses qui peuvent sembler simple mais qui, pour nous, signifient beaucoup", explique la coordinatrice.
Il y a quelques semaines, lors d'une séance, une femme a éclaté en sanglots alors qu'elle embrassait son enfant pour la première fois depuis le début de la guerre.
"Elle aime son enfant mais elle n'a pas le temps de penser à lui", a expliqué Israa al Kahouadji. "Elle s'inquiète seulement de parvenir à le maintenir en vie : lui procurer de l'eau, de la nourriture. Cela occupe non seulement les journées, mais toute la famille."
Hazem Souleiman porte lui aussi ce fardeau. Lui qui faisait partie d'une équipe cycliste parcourt désormais de longues distances à vélo afin de se procurer de l'eau et de la nourriture pour ses enfants.
Mona Abou Amer est également déterminée à survivre, mais elle sait qu'elle devra payer un lourd tribut.
"Tout ce à quoi je peux penser maintenant, c'est à l'espoir que nous survivions", a-t-elle dit. "Mais même si nous y parvenons, les souvenirs terrifiants de cette guerre nous hanteront."
(Reportage Nazih Osseiran et Menna Farouk pour la Fondation Thomson Reuters, version française Camille Raynaud, édité par Kate Entringer)
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