Quarantaine ciblée, exclusion numérique, appauvrissement, infantilisation...
( AFP / LOIC VENANCE )
Il faut repenser la place faite aux personnes âgées dans la société, tranche lundi 3 avril un vaste réseau d'universitaires, qui revient sur les discriminations subies par les seniors pendant la pandémie de Covid-19.
Du Canada à la Chine, en passant par l'Europe ou l'Afrique subsaharienne, la crise sanitaire "a servi de révélateur" face à des formes de discrimination pré-existantes , résume le sociologue bulgare Radoslav Gruev, l'un des coordonnateurs de ce travail de recherche comparative associant des universitaires francophones. Ces travers ont été relevés aussi bien dans les économies vieillissantes que dans des pays encore en pleine croissance démographique, même si le plus souvent cela "partait d'une bonne intention : protéger les plus âgés", relève Radoslav Gruev.
Au Chili, la mise en quarantaine obligatoire n'a touché que les plus de 80 ans, une approche "âgiste et discriminatoire". En Grèce, l'accès aux soins a été "entaché par le tri des patients en raison de leur âge". Au Québec, les personnes âgées ont été "infantilisées" par les autorités, et en Bulgarie, elles se sont vu imposer des horaires séparés du reste de la population pour aller faire leurs courses. Partout ou presque, les résidents des maisons de retraite ont été privés de tout contact avec leurs proches, et pas assez accompagnés pour utiliser les outils numériques qu'ils maîtrisaient mal.
Les anciens mis à l'écart
Telles sont, parmi d'autres, les premières conclusions auxquelles sont parvenus les 44 sociologues, politologues ou autres gérontologues issus de 18 pays, engagés dans le projet RIDPA (Recherche internationale sur les droits des personnes âgées en situation de pandémie). Après avoir confronté et comparé leurs analyses lors d'un récent colloque à Strasbourg, ils doivent présenter leurs conclusions définitives l'an prochain à Montréal.
Même dans les sociétés d'Afrique subsaharienne, souvent considérées comme particulièrement respectueuses des plus âgés, les anciens ont été mis à l'écart pendant la pandémie, souligne Georges Rouamba, anthropologue à l'Université de Ouagadougou.
Face au Covid, des médecins ont pu être amenés à sauver en priorité "les plus jeunes, vu comme plus utiles à la société" , insiste Georges Rouamba, pour qui l'image de "la personne âgée bien entourée et bien prise en charge est une déformation de la réalité". Dans des sociétés africaines encore très jeunes, "la grande longévité est vue comme suspecte", d'où les accusations de "sorcellerie" pesant sur certaines femmes âgées et isolées : "C'est une manière indirecte de s'en débarrasser, car on n'a pas les moyens de s'en occuper".
Les seniors appauvris
Plus vulnérables au virus, nombre de seniors en Afrique ont en outre été appauvris par la pandémie, observe pour sa part l'économiste Muriel Sajoux, qui s'intéresse plus spécifiquement au Sénégal et au Maroc. La crise sanitaire, souligne-t-elle, a montré la nécessité de renforcer les systèmes de protection sociale pour les plus âgés, dont beaucoup doivent encore travailler à un âge avancé , faute de système de retraite robuste dans des économies encore très informelles.
À Taïwan, les aînés ont subi une augmentation des "violences domestiques", relève de son côté Judith Rochot, sociologue basée à Taipei, spécialiste du vieillissement en Chine. Elle évoque des "cohabitations intergénérationnelles" difficiles , et de vieux parents empêchés de sortir par leurs enfants, au nom du principe de précaution sanitaire.
En Chine, le pouvoir se targue "d'avoir mis le droit à la vie, et donc les personnes âgées, au centre de l'agenda politique" pendant la pandémie, mais les seniors n'ont pas pour autant été prioritaires pour accéder au vaccin, observe encore l'universitaire. Et ils se sont trouvés en grande difficulté face à l'omniprésence du numérique pendant la pandémie, les déplacements en Chine ayant été soumis à l'utilisation d'applications de traçage.
Une "exclusion numérique" qui, là encore, existait de longue date, mais que la crise sanitaire aura au moins contribué à rendre visible et à installer dans le débat public, relève Judith Rochot.
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