Dès 2019, la France s'est dotée d'une stratégie spatiale de défense doctrinale avant, l'année suivante, de transformer l'état-major de l'armée de l'Air en état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Le général Philippe Adam, commandant français de l'Espace, à Toulouse, le 22 septembre 2022. ( AFP / CHARLY TRIBALLEAU )
Jusqu'à récemment, la France ne concevait l'espace que dans sa dimension civile -sciences, commerce, coopération. Mais le monde a changé, ces dernières années, et encore plus ces derniers mois. Paris entend bien rattraper son retard sur le plan militaire, dans un milieu devenu aussi stratégique que conflictuel.
Début mars, le ministre français des Armées Sébastien Lecornu soulignait les "vulnérabilités" militaires de l'Hexagone, citant notamment les munitions, la guerre électronique et les drones. "Enfin, il y a le spatial. Nos compétiteurs sont en train d'acquérir des capacités de destruction et d'éblouissement de satellite" , ajoutait-il. Une précision qui confirme que la conquête de l'espace va aujourd'hui bien au-delà des trois piliers privilégiés depuis les années 60 -sciences, commerce et coopération.
"Au lendemain de décisions brutales prises par l'administration Trump concernant le soutien à l'Ukraine, la question de la mise en place d' un quatrième pilier spatial orienté vers la défense du continent européen doit être posée", affirme ainsi Paul Wohrer, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
La France n'a pourtant pas attendu le second mandat de Donald Trump pour réagir. En 2019, elle se dotait d'une stratégie spatiale de défense doctrinale avant, l'année suivante, de transformer l'état-major de l'armée de l'Air en état-major de l'armée de l'Air et de l'Espace.
"Espionnage, sabotage, pollution : les menaces sont tangibles. (...) Nous devons être prêts", justifiait la ministre des Armées de l'époque, Florence Parly. Simultanément, le Commandement spatial américain affirmait disposer de "preuves" que Moscou avait "conduit un test non-destructeur d'une arme anti-satellite depuis l'espace". L'Inde, elle, appartenait déjà au club très fermé des nations capables d'abattre un satellite avec un missile.
"Manœuvres militaires, intimidations, combat"
Depuis, l'Histoire s'est encore accélérée. "Il y a des brouillages , des satellites d'observation qui se sont fait repeindre la rétine ", décrivait récemment l'amiral Pierre Vandier, Commandant suprême allié Transformation (SACT), l'un des deux commandants stratégiques de l'Otan. L'espace, ajoutait-il, est maintenant un théâtre "de manœuvres militaires, d'intimidations et même de combat".
Cette dynamique se cumule avec une montée en gamme du domaine dans la conduite de la guerre. "Le spatial est partout dans l'ensemble de nos processus, qu'ils soit civils ou militaires" , explique à l' AFP le général Philippe Adam, commandant français de l'Espace. "Cela devient un multiplicateur de capacités, au sens où on apporte des éléments de compréhension, d'éclairage et d'appui aux manœuvres des unités terrestres, maritimes ou aériennes". Et bien sûr, du renseignement, notamment d'origine électromagnétique.
L'officier supervise, du 17 au 28 mars, la cinquième édition de l'exercice annuel Aster X, créé en 2021, au Centre national d'études spatiales (CNES) à Toulouse (sud de la France). Un "exercice de haute intensité (....) en temps réel, selon un scénario géopolitique fictif inspiré des menaces actuelles et futures", selon le ministère des Armées, avec la participation de 12 partenaires étrangers et d'industriels du secteur.
Cette année, l'exercice comprend une séquence censée "approfondir la réponse nationale à certaines menaces dans une phase de compétition, puis une seconde visant "à renforcer la coopération avec les alliés dans une phase de confrontation", selon l'Hôtel de Brienne.
Des investissements massifs nécessaires
Une mise en situation ne sera pas de trop, alors que la géopolitique planétaire vacille entre agressivité militaire décomplexée, compétition inter-étatique exacerbée et recomposition des alliances héritées de 1945. Le tout sans cadre juridique international précis . "Cela peut ressembler un peu au Far West", convient le général Adam. "Il n'y a rien de fixé (...), ce qui nous arrange aussi un petit peu dans un cadre militaire. Pour créer la surprise, on est assez peu limités".
La tâche est pour autant herculéenne. Les alliances au sol ne sont pas celles de l'espace, l'étatique se mêle au privé, les technologies duales -applicables au civil comme au militaire- se multiplient. "Et dans l'espace, vous êtes en permanence au contact de vos partenaires et de vos ennemis , ceux du moment, du passé et de l'avenir", insiste le général Adam.
L'heure est donc aux investissements, massifs si possible.
Car les Européens, et la France avec eux, accusent d'importants retards sur les États-Unis, la Russie et la Chine notamment, qui ont depuis des décennies privilégié le développement militaire avant le domaine civil.
Le budget spatial militaire français atteignait 3,6 milliards d'euros en 2024, avec 16 satellites actifs, selon le site spécialisé "Armées". À des années-lumières des Etats-Unis (26 mds, 1.200 satellites) et de la Chine (11 mds, 450). Une asymétrie budgétaire dangereuse pour l'avenir.
"L'espace est désormais un théâtre d'affrontement où se joue la résilience des infrastructures critiques, la souveraineté des communications et la supériorité informationnelle sur le champ de bataille", martèle Paul Wohrer.
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