
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, le 31 juillet 2024, à Madrid ( AFP / JAVIER SORIANO )
La décision du gouvernement de gauche espagnol de pérenniser un impôt exceptionnel sur les groupes bancaires et énergétiques suscite une levée de boucliers en Espagne, où certaines grandes entreprises menacent de suspendre leurs investissements, nécessaires à la transition climatique du pays.
Taxe "discriminatoire", mesure "injustifiée", "attaque" contre l'économie... Après des mois de bataille larvée, plusieurs grands groupes sont montés au créneau ces derniers jours pour dénoncer le projet de l'exécutif, accusé de renier sa parole passée.
Au coeur du conflit: l'avenir de cette surtaxe sur les grands groupes énergétiques et financiers, instaurée par le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez afin de financer les mesures de soutien au pouvoir d'achat mises en place après le début de la guerre en Ukraine.
Entré en vigueur en janvier 2023, cet impôt extraordinaire - qui a permis à l'Etat espagnol de récupérer près de 2,86 milliards d'euros cette année, selon le ministère du Budget - était censé initialement s'appliquer durant deux ans, jusqu'à fin 2024.
Mais le gouvernement Sánchez a décidé de le pérenniser dans le cadre d'un accord de coalition signé voilà un an avec le parti d'extrême-gauche Sumar. Un choix confirmé mi-octobre par le ministre de l'Economie Carlos Cuerpo, qui a indiqué en avoir informé la Commission européenne.
- "Populisme fiscal" -
Cette mesure a eu un "impact redistributif" important sans affecter la "solvabilité" des entreprises concernées, a justifié vendredi lors d'une rencontre économique M. Cuerpo, qui souhaite consolider les rentrées fiscales de l'Etat pour poursuivre la réduction du déficit public espagnol.
Plusieurs groupes touchés par cet impôt exceptionnel ont ainsi dégagé des bénéfices record l'an dernier, à l'image de la banque Santander (11,1 milliards d'euros) ou de l'énergéticien Iberdrola (4,8 milliards). La preuve, selon l'exécutif, que cette taxe n'entrave pas le dynamisme économique.
Cette analyse est contestée par les principaux intéressés, qui estiment que la situation a changé: la "surtaxe" espagnole a, en effet, été instaurée en période de flambée des taux d'intérêt et des prix de l'énergie, qui a bénéficié aux secteurs concernés. Mais cette période est aujourd'hui révolue.
Le projet du gouvernement est "discriminatoire", notamment "à l'égard du secteur de l'énergie", où les prix sont revenus à leurs niveaux d'avant-crise, a ainsi dénoncé lundi l'organisation patronale catalane Foment del Treball, disant craindre des répercussions pour "l'emploi et l'investissement".
Evoquant un "environnement défavorable", le géant pétrolier Repsol a d'ores et déjà annoncé geler tous ses projets dans l'hydrogène vert en Espagne. "Des milliards d'euros vont être détournés vers d'autres pays", a prévenu mardi son PDG Josu Jon Imaz, en dénonçant le "populisme fiscal" de l'exécutif.
- "Obscène" -
Cette décision, qualifiée d'"obscène" par le secrétaire général du syndicat Commissions ouvrières (CCOO), pourrait-elle faire boule de neige? D'autres patrons du secteur ont fait planer cette menace, à l'image du PDG d'Endesa José Bogas, pour qui l'Espagne va "perdre des opportunités" à cause de cet impôt.
De quoi inquiéter le gouvernement, qui entend faire de l'Espagne un leader mondial des énergies renouvelables grâce à son Plan national intégré pour l'énergie et le climat (PNIEC), qui prévoit de mobiliser 308 milliards d'euros pour la transition énergétique d'ici à 2030, dont 252 venant du privé.
Dans son rapport annuel sur l'économie espagnole publié en juin, le Fonds monétaire international (FMI) avait estimé que ces taxes devaient rester "temporaires". Le risque, dans le cas contraire, serait de "décourager un investissement déjà faible", avait-il mis en garde.
Dans un entretien publié mardi par le quotidien économique Expansión, le nouveau gouverneur de la Banque d'Espagne, José Luis Escrivá, ministre de la Fonction publique du gouvernement Sánchez il y a encore deux mois, a lui aussi appelé l'exécutif à revoir sa copie.
"L'impôt sur les banques n'est pas neutre, il faut le modifier", a insisté le gouverneur, disant craindre un impact négatif sur "l'octroi de crédits aux PME". Un message aussitôt critiqué par Sumar, qui souhaite que cette mesure fiscale soit maintenue en l'état.
Alors que le gouvernement peaufine son texte, les opposants au projet comptent sur les réticences de certains alliés de l'exécutif, comme le parti indépendantiste catalan Junts per Catalunya, pour obtenir gain de cause, l'exécutif n'ayant pas de majorité au parlement sans leur soutien.
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