par Jeff Mason et Andrea Shalal
Donald Trump avait prévenu, il l'a fait. En annonçant mercredi un relèvement massif des droits de douane prélevés sur les importations américaines, le président américain a sidéré ses principaux partenaires américains, pourtant prévenus de longue date de ses intentions.
Si leurs réactions se font encore attendre, le Parti républicain dont il porte les couleurs pourrait rapidement en subir les effets politiques si les promesses d'embellie économique ne se manifestent pas, préviennent de nombreux spécialistes de la vie politique américaine.
Ils soulignent d'ailleurs qu'il faudra du temps pour que les relocalisations industrielles promises se matérialisent et que les électeurs américains pourraient s'impatienter notamment en raison des effets potentiellement néfastes du "Liberation Day" sur l'inflation.
Il n'est pas exclu non plus qu'une récession se profile, à plus forte raison si les pays ciblés par Donald Trump instaurent à leur tour des mesures douanières et ouvrent un cycle de représailles aux effets difficilement quantifiables.
A un peu plus de 18 mois des élections de mi-mandat, le Parti républicain peut nourrir quelques inquiétudes, d'autant que ses majorités au Sénat et à la Chambre des représentants sont étroites.
"Le seuil de tolérance de Donald Trump est élevé, mais cela pourrait devenir extrêmement douloureux dans les urnes en novembre 2026", prévient Mike Dubke, qui fut directeur de la communication de Donald Trump lors de son premier mandat présidentiel.
"La question qui préoccupe est celle de savoir quand vont se produire les bénéfices que ses conseillers et lui pensent pouvoir obtenir. Parce qu'il n'a que 18 mois avant les élections de mi-mandat."
DES HAUSSES DE PRIX ATTENDUES
Une enquête Reuters/Ipsos montre que 70% des Américains pensent que la hausse des droits de douane entraînera une hausse des prix alimentaires et des biens de consommation courante.
Près de 53% des sondés approuvent l'idée selon laquelle les barrières douanières produiront plus d'effets néfastes que d'effets bénéfiques et seuls 31% sont de l'avis contraire.
Une proportion identique, 31%, pense que les salariés américains profiteront des hausses douanières, contre 48% qui redoutent l'inverse.
"Il y a un risque immédiat sur les prix et sur les répercussions que cela aura sur un président qui a en partie été élu sur la promesse de faire reculer les prix", souligne Lanhee Chen, membre de la Hoover Institution, un cercle de réflexion proche des milieux conservateurs et libertariens et ancien conseiller économique de Mitt Romney, candidat malheureux à la présidentielle de 2012, remportée par Barack Obama.
Alors qu'il n'était encore que candidat à la succession de Joe Biden, Donald Trump promettait de faire reculer l'inflation.
Mercredi, Donald Trump a dévoilé un tableau dressant la liste des droits de douane dits "réciproques" qu'il va mettre en oeuvre, se disant persuadé qu'ils enrichiraient les Américains.
"C'est notre déclaration d'indépendance", a affirmé le président américain devant un pupitre installé dans la roseraie de la Maison blanche à l'occasion de ce qu'il a appelé le Jour de la Libération ("Liberation Day").
"Pendant des décennies, notre pays a été volé, pillé, violé et mis à sac par des pays, proches ou lointains, amis ou ennemis", a dit Donald Trump.
"C'est à notre tour de nous enrichir et nous allons le faire en utilisant des milliers de milliards de dollars pour réduire nos impôts et rembourser notre dette publique et cela va se produire très rapidement."
Or, les droits de douanes sont payés par les importateurs, pas par les pays étrangers, et ils sont habituellement répercutés sur les prix payés par les consommateurs.
AVERTISSEMENT DANS LES URNES
Dans le camp républicain, le mécontentement commence à poindre. Mardi, deux élections partielles ont été remportées par les Républicains avec une marge d'avance bien inférieure à celle qu'avait obtenue Donald Trump à la présidentielle de novembre. Et dans le Wisconsin, Etat pivot remporté de justesse par le républicain il y a cinq mois, les électeurs ont très largement élu une candidate progressiste à la Cour suprême locale.
Mercredi, le Sénat américain a adopté grâce à quelques voix républicaines un texte prévoyant de supprimer les nouveaux droits de douane pesant sur le Canada. S'il est fort probable que cette loi ne passera pas l'obstacle de la Chambre des représentant, le vote du Sénat témoigne des doutes qui habitent le parti de l'éléphant.
Sur les marchés, également, l'ampleur des droits de douane fait l'effet d'une douche froide, provoquant une chute des contrats à terme sur les principaux indices qui suggéraient vers
12h00 GMT une ouverture en baisse de 2,8% pour le Dow Jones
.DJI , de 3,44% pour le Standard & Poor's 500 .SPX et de 3,87% pour le Nasdaq .IXIC , de quoi inquiéter les retraités américains dont les pensions dépendent directement des variations boursières.
"Le 'Liberation Day' semble avoir d'abord pour effet de libérer les entreprises et les consommateurs américains de leur argent", persifle un ancien assistant parlementaire républicain s'exprimant sous le sceau de l'anonymat. "On ne pose pas un avion sur une pièce de dix centimes et on ne rebat pas les cartes de l'économie mondiale en un jour."
LES DEMOCRATES EN EMBUSCADE
Selon la Maison blanche, qui met l'inflation au passif de la présidence Biden, Donald Trump fait tout pour diminuer le coût de la vie et il ne saurait être question de s'interroger sur les risques que comportent sa politique commerciale.
"La seule et unique préoccupation du président Trump, c'est le bien-être du peuple américain. Tout ce qu'il a fait pour le commerce est l'exact reflet de son engagement en faveur de la grandeur des Etats-Unis, pour nos industries et pour nos salariés", a déclaré Jush Desai, porte-parole de la Maison blanche.
Dans le camp démocrate, on entend bien profiter de la moindre opportunité qui se présenterait si les effets des barrières douanières venaient à gripper l'économie américaine.
Donald Trump a hérité d'une économie solide, avec une croissance qui s'élevait à près de 3% en 2024 et un taux de chômage avoisinant les 4%. Or, elle commence à montrer quelques signes d'essoufflement, même si aucun indicateur ne laisse pour l'heure entrevoir de net ralentissement à court terme.
Pourtant, les études mesurant la confiance des ménages et des entreprises montrent une très nette détérioration de leur moral alors que l'optimisme prévalait après la victoire de Donald Trump en novembre dernier.
"Du strict point de vue politique, c'est une très mauvaise idée", juge Philip Luck, du Centre des études stratégiques et internationales, ancien adjoint de l'économiste en chef du Département d'Etat sous le mandat de Joe Biden, qui souligne que les partenaires économiques des Etats-Unis risquent de riposter aux mesures annoncées mercredi.
Barbara Trish, qui enseigne les sciences politiques au Grinnell College, dans l'Iowa, observe que Donald Trump est confronté aux inquiétudes des électeurs, tout en notant qu'il était toujours parvenu à les surmonter.
Elle rappelle que Donald Trump a souvent été donné pour mort politiquement, à tort.
(Reporting by Jeff Mason and Andrea Shalal; additional reporting by Greg Savoy; Editing by Mary Milliken and Gerry Doyle)
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