Le mot a été martelé par la Première ministre Élisabeth Borne lors de sa présentation : la réforme des retraites est présentée comme "un projet de justice. Pourtant, elle n'est pas équitable, car elle demande plus d'efforts aux classes moyennes qu'aux cadres.
La réforme des retraites demande plus d'efforts aux classes moyennes qu'aux cadres. ( AFP / PHILIPPE LOPEZ )
L'argument a été martelé une dizaine de fois par la cheffe du gouvernement lors de sa présentation de la réforme des retraites la semaine dernière. Son projet viserait à "rendre le système plus juste". En particulier "pour les femmes", mais aussi "les plus fragiles", sans oublier "ceux qui ont commencé à travailler tôt".
Graphique montrant la durée actuelle nécessaire de cotisation pour atteindre le taux plein selon l'âge des personnes, selon les données de la Cnav, et ce qu'il pourrait advenir avec la réforme Macron, selon la simulation du gouvernement ( AFP / )
Autant de catégories faisant l'objet d'aménagements censés amoindrir l'effet du report de l'âge légal de 62 à 64 ans, "qui va rester comme une marque de dureté", estime pour l' AFP Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ce sera particulièrement le cas pour "des salariés peu qualifiés qui ont commencé à travailler entre 19 et 21 ans, (et qui) vont avoir l'effort le plus important à faire , tandis que les cadres et ceux qui ont commencé à 23 ans auront très peu à contribuer". Même si l'exécutif "a fait un peu machine arrière" par rapport aux 65 ans avancés par Emmanuel Macron avant sa réélection, et a donc "rendu un peu moins injuste" sa copie, il va tout de même "avoir du mal à indiquer que cette réforme était la plus juste possible", juge l'économiste.
Les classes moyennes pénalisées
Son confrère Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, est du même avis : "Je ne crois pas que la justice sociale soit la motivation de cette réforme" , dont le but est d'abord "d'équilibrer le système" sur le plan financier, résume-t-il. Lui aussi constate que la méthode choisie pour remettre les comptes d'aplomb "va peser plus fortement sur les classes moyennes et une partie des classes populaires". Tout en épargnant "ceux qui sont dans les 10% de salaires les plus élevés" , mais aussi "les plus modestes".
Graphique montrant l'évolution de l'âge légal de départ et de l'âge de départ à taux plein au fil des réformes des retraites depuis 1945 ( AFP / )
En effet, "on ne touche pas au départ à 62 ans pour invalidité" qui concerne "beaucoup de personnes qui ont des métiers difficiles", ni à l'annulation de la décote à 67 ans pour "tous ceux qui ont une carrière incomplète", dont "beaucoup de femmes avec des temps partiels subis", relève Nathalie Chusseau, professeure d'économie à l'université de Lille. Reste qu'entre les deux extrémités de l'échelle sociale, "ce sont probablement les personnes moyennement qualifiées qui vont être pénalisées" , surtout celles "qui sont entrées sur le marché du travail relativement jeunes" et devront "cotiser 44 ans" pour une retraite à taux plein, alors que la durée de référence sera de 43 ans.
"Faire porter le poids de la réforme que sur ceux qui travaillent"
"C'est un problème", d'autant plus que ces "carrières longues" ont "souvent des métiers pénibles et une espérance de vie plus faible", souligne l'enseignante, en outre "pas du tout convaincue par les pseudo-avancées en matière de pénibilité", car la prévention et la reconversion des salariés "supposent un effort des employeurs". Or, "on ne va faire porter le poids de la réforme que sur ceux qui travaillent". C'est la conséquence, selon l'enseignante, d'un "parti pris du gouvernement qui veut maintenir le niveau de vie des retraités" , pourtant "assez généreux" comparé aux autres pays riches, le tout "sans augmenter les impôts".
Ces alternatives ont toutes l'inconvénient de "rogner sur le pouvoir d'achat" , souligne Antoine Bozio, même si "on pourrait demander un effort plus grand aux salaires les plus élevés, qui ont une espérance de vie plus longue". Mais le débat est loin d'être clos, car la sortie des déficits prévue en 2030 "ne voudra pas dire que le système fonctionne le mieux possible". Au contraire, "on peut avoir un système inefficace mais à l'équilibre" , glisse l'économiste, qui prédit que "ce n'est probablement pas la dernière réforme".
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