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La Diagonale du Figaro N°60 : le «Freestyle chess», ces échecs hétérodoxes qui séduisent Carlsen
information fournie par Le Figaro 07/03/2025 à 15:03

Le numéro 1 mondial norvégien, peut-être lassé des échecs classiques, a jeté son dévolu sur la nouvelle forme de jeu préconisé par son prédécesseur, l’Américain Bobby Fischer.

Il y a un siècle, déjà, Capablanca avait voulu changer les règles du noble jeu, qui prétendait-il, était menacé de mort par le spectre de la nullité. Afin de le rendre plus complexe, il inventa deux nouvelles pièces, un chancelier doté des pouvoirs du cavalier et de la tour, et un centaure qui pouvait se muer comme un fou et un cavalier. Il disputa quelques parties d’exhibition contre le grand maître Maroczy puis son idée resta très vite lettre morte.

60 ans après, ce fut au tour de Bobby Fischer de lancer à son tour une variante innovante, les échecs 960 ou dans la langue de Shakespeare, «The Fischer Random». Cette fois, point de pièce ajouté. Il changeait, seulement pourrait-on écrire, la place des officiers derrière les fantassins. La symétrie entre les armées était respectée, le roi devait être placé entre les deux tours, les fous de différentes couleurs.

Ces deux légendaires grands maîtres ne sont plus parmi nous pour défendre leurs nouveautés mais ce désir de changement ne s’est pas éteint pour autant. Aujourd’hui, Magnus Carlsen , leur emboîte le pas. Il vient de commencer un nouveau cycle de tournoi, sponsorisé par le sémillant entrepreneur allemand Henric Buettner, intitulé Freestyle Chess Tour.

Jugeant sans doute que l’appellation «Fischer Random» n’était pas assez dans l’air du temps, Henric Buettner en homme d’affaires avisé ou opportuniste -, ce sera à vous cher lecteur de choisir la juste épithète -, a choisi Freestyle, pour faire de ces échecs hétérodoxes, un produit à la mode dans toutes les acceptions du terme.

Pour l’histoire et pour l’anecdote, le premier tournoi du Freestyle Chess a été remporté par le prodige Vincent Keymer devant la crème de la crème de l’élite mondiale, dont bien sûr Magnus Carlsen, attiré par des prix sonnants et trébuchants, et une bourse globale de quelques centaines de milliers de dollars.

Déroutés par les positions abracadabrantesques initiales, les champions ont dû faire travailler leurs méninges dès le premier coup, afin de tenter de retrouver une forme d’harmonie dans ce chaos initial. Il était fascinant de constater que Keymer, le vainqueur du tournoi, a réfléchi près de vingt minutes sur son premier lors de sa deuxième partie en finale face à Caruana. Bien lui en a pris puisqu’il effectuera une percée centrale aussi grandiose que spectaculaire, quelques mouvements plus tard.

Bien que chahutés par cette variante, où la science des ouvertures ne sert quasiment plus à rien mais où les théories du centre, des cases fortes ou faibles, de l’attaque sur le roi, de l’ouverture des lignes restent primordiales, tous les maîtres du jeu au tournoi allemand ont déclaré que le Freestyle, sans remplacer les échecs classiques, représentait à leurs yeux, une nouveauté rafraîchissante. Et finalement enthousiastes, ils ont promis lors de la cérémonie de clôture de se retrouver bientôt. Joyeuse nouvelle, ce sera à Paris du 7 à au 14 avril.

Classement final du Freestyle Chess de Weissenhaus: 1 er Vincent Keymer, 2 e Fabiano Caruana, 3 e Magnus Carlsen, 4 e Javokhir Sindarov, 5 e Hikaru Nakamura, 6 e Nodirbek Abdusattorov, 7 e Alireza Firouzja, 8 e Gukesh Dommaraju, 9 e Levon Aronian, 10 e Vladimir Fedoseev

Le Freestyle Chess vu par Carlsen, Keymer et Caruana

Cette semaine, outre l’analyse de trois combats iconoclastes tirés du premier tournoi allemand du Freestyle Chess Tour, nous vous offrons, une leçon d’échecs Fischer 960 donnée par Magnus Carlsen. Il est interviewé par l’excellente «chess-streameuse», Anna Cramling , qui n’est autre que la fille de la grande championne suédoise, Pia Cramling. Ici, le Norvégien explique que dans cette variante échiquéenne, il repère dès le début les faiblesses autour du roi (exit le sempiternel point névralgique en f7 !), les possibilités d’activation des pièces, et la préparation du roque qui peut désormais être très très long lorsque le monarque se trouve excentré dans la position initiale. À vos échiquiers !

Magnus Carlsen - Nodirbek Abdusattorov, Freestyle Grand Tour Weissenhaus 2025, Chess960 – position 51

1.f4 f5 2.Fxa7 Fxa2 , incroyable ! Dans ce début miroir, les qualités en b1 et b8 sont perdues dès le 2 e coup... voir l’échiquier ci-dessous

3.e4 Fxb1 4.Rxb1 fxe4 5.g3 c6 , la suite 5...d5 6.c4 e6 7.cxd5 exd5 8.Fg4+ Ce6 9.d3! donnait aussi l’avantage au Norvégien... 6.Dxe4 g6 7.Ce3 Fb6 8.Fxb8 Rxb8 9.Cb3! , Carlsen retombe sur ses pieds. Presque toutes ses pièces sont en jeu. Petit à petit, il va lorgner le roi adverse... voir le diagramme ci-dessous....

9....Cc7 10.Db4 Fxe3 11.dxe3 Cd5 12.Da5 e5 13.Ff3 e4 14.Fg2 Dg7 15.c4 Cf6 16.Rc2! , Freestyle ou échecs classique peu importe, Carlsen vise le roi noir en permettant à la tour de bientôt rejoindre la colonne a... Voir l’échiquier ci-après...

16...Df7 17.Ff1 d6 18.Ta1 C8d7 19.Cd4 Cc5 , si 19...h5 alors 20.Cxc6+ bxc6 21.Da8+ Rc7 22.Ta7+ Rb6 23.Tb7+ Rc5 24.b4 mat ... 20.b4 Ca6 21.b5 cxb5 22.Db6 Cb4+ 23.Rd2 1-0, Les noirs n’ont plus de défense. Par exemple, si 23...Dc7 alors 24.Ta8+! Rxa8 25.Dxc7 etc.

Vincent Keymer - Magnus Carlsen, Freestyle Grand Tour Weissenhaus 2025, Chess 960 – position 51

1.g4!? , ce début décrié dans la position «normale» prend ici du sens. La dame blanche respire un peu mieux... Pour les amateurs de suites étonnantes, on peut livrer celle-là: 1.f4 f5 2.Cg3 Cb6 3.Cb3 Ca4 4.0–0–0! où les blancs roquent en «switchant» simplement le roi d1 et la tour c1!
1...Cg6 2.Cb3 e5 3.Cg3 f6 4.c4!, Keymer anticipe le prochain «grand roque» noir en rêvant d’installer son Fb1 sur f5... voir l’échiquier ci-dessous...

4...0–0–0 , une photo pour ce grand roque freestyle où le roi et la tour n’ont fait qu’interchanger leur place! Voir le diagramme ci-dessous...

5.d4 Cb6 6.d5! d6 7.Ff5+ Fd7 8.f3 a6 9.e4 Cf4 10.Fxd7+ Txd7 11.Rc2 Fa7
12.Fd2 Rb8 13.Fe3 Ch3 14.Dg2 Cf4 15.Df2 h5 16.Tfd1 hxg4 17.fxg4 Cc8 18.c5!? , Keymer a réussi à imposer une structure ressemblant plus ou moins à l’Est-indienne. Il décide donc de percer... Voir le diagramme ci-après...

18.dxc5 19.Fxc5 g6 20.Fxa7+ Cxa7 21.Rb1 Dh7 22.Cc5 Td6 23.Ce2?! , jusqu’ici impeccable l’Allemand oublie la prophylaxie. il fallait interdire l’activation du cavalier a7 de Carlsen avec 23.a4! 23...Cxe2 24.Dxe2 Cb5! 25.Dc4 Tc8 26.a4 Cd4 27.g5 Tcd8 , la ligne suivante ne manque pas de piquant : 27...fxg5 28.Txd4 exd4 29.e5 Tb6 30.d6 cxd6 31.Cxa6+! gagne . 28.gxf6 Txf6 29.Tf1 Tb6! 30.Tf2 g5 31.Ra2 Ra7 , Carlsen manque de mordant dans cette situation délicate. Il devait tenter 31...g4! . 32.Tcf1! g4 33.Dc3? , le freestyle fait perdre la tête jusqu’aux meilleurs joueurs du monde. Keymer ne voit pas la ligne gagnante: 33.Tf7 Dxh2 34.T1f2 Dh6 35.Txc7 g3 36.Tff7 g2 37.Txb7+ Txb7 38.Txb7+ Ra8 39.Db4 g1D 40.Ta7+ Rxa7 41.Db7 mat . 33...Cf3 34.Tg2 Tg8 35.Tff2 Td6? , certainement en zeitnot, Carlsen va commettre une litanie d’erreurs: 35...Cd4! , était plus fort. Il va sans dire que l’auteur de ses lignes n’aurait certainement pas mieux réagi. 36.De3 Ra8?? , bis repetita: indispensable était 36...Cd4!, 37.Ce6 c6?? , idem que dans les notes précédentes. 37...Rb8! permettait peut-être de tenir. 38.Da3!! , décisif, 38... Txe6 39.dxe6 Tc8 et Carlsen a abandonné. 1-0 . Une partie qui montre les difficultés que même un champion de la magnitude de Carlsen peut rencontrer dans le Freestyle Chess. C’est tout à l’honneur de Keymer d’avoir réussi à se débrouiller avec brio dans ces méandres.

Fabiano Caruana - Vincent Keymer, Freestyle Grand Tour Weissenhaus 2025, Chess960 – position 876

1.d4 , L’intelligence artificielle donne ici une ligne pleine de venin: 1.f4 f5 2.Chg3 d5 3.Ch5 Ce6 4.c4 dxc4 5.e4 etc. 1...f5! , Keymer a pris 20 minutes !! pour ce premier bon coup. 2.Chg3 d5 3.f3! , Caruana rêve d’un centre idéal «à la Morphy»... 3...e5! , Keymer ne s’en laisse pas compter. Profitant de la centralisation naturelle de sa tour e8, il réagit aussitôt. Voir l’échiquier ci-dessous...

4.dxe5 Chg6! , un superbe sacrifice de pion qui jette de l’huile sur le feu. Voir l’échiquier ci-dessous...

5.f4 Ch4! 6.c4!? 6...dxc4! 7.Fa4 c6 8.e4 g5!! , une rupture digne d’Alekhine. Keymer comprend qu’il faut à tout prix fragiliser la structure blanche au centre f4-e5. Voir l’échiquier ci-dessous...

9.Cxf5, si 9.fxg5 alors 8...f4 10.Ch5 Dg4 11.Cf6 Fxf6 12.gxf6 Cxg2 13.Td1 0–0–0!! 14.Fxa7 Cd7! , les noirs dicteraient aussi leurs conditions. 9...Cxf5 10.exf5 Dxf5+ 11.Fc2 Dxf4 12.Fe3 Df7 13.Cg3 Cg6 14.Fxg5 Fxg5 15.Dxg5 Df4! 16.Dxf4 Cxf4 17.0–0–0 Cxg2 18.Tg1 Ce3 19.Cf5 Cxd1 20.Tg7 0–0–0 21.Cd6+ Rb8 22.Cxe8 Txe8 23.Fxd1 Fd5 24.Txh7 Txe5 25.h4 Te1 26.Rd2 Th1 27.h5 Th2+ 28.Rc3 Th3+ 29.Rd2 29...Th2+ 30.Rc3 Th3+ 31.Rd2 nulle, un début de partie passionnant qui montre que la théorie des ouvertures du Freestyle Chess, encore naissante, pourrait ouvrir de nouveaux horizons au jeu d’échecs.

Merci d’avoir lu cette lettre. N’hésitez pas à me faire suivre vos suggestions, commentaires ou idées en répondant directement à ce mail. Je vous donne rendez-vous dans quinze jours pour une nouvelle édition de «La Diagonale du Figaro» .

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