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PORTRAIT-François, un pape atypique et clivant
information fournie par Reuters 21/04/2025 à 10:15

Le pape Francois (Crédits: Wikimedia Commons - Casa Rosada)

Le pape Francois (Crédits: Wikimedia Commons - Casa Rosada)

par Philip Pullella

En 12 ans de pontificat, le pape François aura plus qu'aucun de ses prédécesseurs bouleversé les usages de la papauté moderne, l'éloignant de ses usages et de ses fastes traditionnels pour la rapprocher des plus pauvres, une ligne qui aura crispé la frange la plus conservatrice du catholicisme.

Son décès a été annoncé lundi par le Vatican.

Elu en 2013 après la démission de Benoît XVI, qui entendait au contraire renouer avec une tradition qui s'étiolait depuis le concile Vatican II, François fut le premier pape argentin et le premier non-européen depuis 1.300 ans.

Accueilli avec méfiance par une curie qu'il s'était engagé à réformer, le pape François sut très rapidement se faire des ennemis au sein du clergé catholique, aux Etats-Unis notamment où ses prises de position jugées progressistes ont heurté de nombreux cardinaux.

La réélection de Donald Trump et sa promesse de durcir la répression de l'immigration clandestine n'auront rien fait pour apaiser ces relations. François a d'ailleurs rédigé en février un long courrier adressé à l'épiscopat américain soutenant que l'Eglise a toujours défendu les migrants et les exilés.

"La conscience bien formée ne peut manquer de porter un jugement critique et d'exprimer son désaccord avec toute mesure qui identifie tacitement ou explicitement le statut illégal de certains migrants à la criminalité", a-t-il notamment écrit dans ce courrier rédigé en anglais et en espagnol.

L'intensité de l'animosité des conservateurs envers le pape a été mise en lumière en janvier 2023 lorsqu'il est apparu que le cardinal australien George Pell, figure marquante du mouvement conservateur et proche de Benoît XVI, était l'auteur d'une note anonyme rédigée en 2022 présentant le pontificat de François comme une "catastrophe".

Réquisitoire sévère à l'encontre du pape, cette lettre aux allures de manifeste traditionaliste détaillait les qualités attendues de celui qui succédera à François sur le trône de Rome.

Or, ce dernier a nommé près de 80% des cardinaux électeurs qui choisiront le prochain pape, ce qui augmente, sans toutefois la garantir, la possibilité que son successeur poursuive sa politique progressiste. Certains experts du Vatican prédisent d'ailleurs un successeur plus modéré et moins conflictuel.

Sous sa direction, une constitution du Vatican révisée a permis à tout laïc catholique baptisé, y compris les femmes, de diriger la plupart des départements de l'administration centrale de l'Église catholique.

Il a placé plus de femmes à des postes importants au Vatican que n'importe quel autre pape précédent, mais pas autant que le souhaitaient les progressistes.

Âgé de 76 ans lors de son élection, il fut exempt de problème de santé durant la majeure partie de son pontificat. Il s'est bien remis d'une opération intestinale en 2021, mais un an plus tard, un problème persistant au genou l'a obligé à ralentir.

Il n'a jamais été très friand d'exercice et la contrainte d'un fauteuil roulant et d'une canne a entraîné une augmentation visible de son poids.

Son incapacité à contribuer à mettre un terme à la guerre en Ukraine a été une grande déception. Depuis le jour de l'invasion russe en février 2022, il a multiplié les appels à la paix à presque chacune de ses apparitions publiques, au moins deux fois par semaine, en vain.

Le conflit fut également le catalyseur de nouvelles tensions entre l'Eglise catholique d'une part et l'Eglise orthodoxe russe d'autre part, comme en témoigne cette déclaration du pape François, qualifiant le patriarche Cyrille "d'enfant de choeur de Poutine".

Le pape François a aussi lancé de fréquents appels à la libération des otages retenus par les militants du Hamas dans la bande de Gaza tout en multipliant les critiques à l'encontre de la campagne militaire israélienne dans l'enclave palestinienne.

PILONNÉ PAR LES CONSERVATEURS

L'hostilité des conservateurs à l'encontre du pape s'est manifestée aux premiers jours de son pontificat, notamment lorsque qu'il s'est présenté à la foule vêtu d'une simple soutane blanche surmontée d'une sobre croix argentée.

A cette aversion pour le faste s'est rapidement ajoutée la stupéfaction de le voir bousculer la tradition, notamment lorsqu'il a autorisé les femmes et les musulmans à participer au rituel du lavement des pieds du Jeudi saint.

Ses appels en faveur d'une Eglise plus accueillante envers les membres de la communauté LGBT, son accord à des bénédictions pour les couples homosexuels en 2023 et ses attaques répétées contre la célébration de la messe en latin n'auront rien fait pour améliorer la situation.

Dans les milieux conservateurs, on fait plus volontiers référence au cardinal australien George Pell et à son homologue cardinal américain Raymond Leo Burke, qui a un jour comparé l'Église sous François à "un navire sans gouvernail".

En 2016 et en 2023, des cardinaux ont présenté au pape plusieurs questions, réclamant de lui qu'il livre des éclaircissements théologiques, l'accusant de semer la confusion sur des thèmes moraux, menaçant une fois d'émettre eux-mêmes une "correction" publique.

Ils ont pris la parole lors de conférences où certains participants ont ouvertement fait référence à François comme étant le précurseur de l'Antéchrist et de la fin du monde.

"Je n'ai pas envie de les juger", a déclaré le pape à Reuters en 2018. "Je prie le Seigneur pour qu'il apaise leur cœur et même le mien."

Mais un an après la mort de Benoît XVI, François a perdu patience avec les meneurs conservateurs, dépouillant Raymond Leo Burke, qui était rarement à Rome, de ses privilèges du Vatican, notamment un appartement subventionné et un salaire.

Les conservateurs ont également été secoués par sa décision de déclarer la peine capitale inadmissible dans tous les cas, par ses fréquentes attaques contre l'industrie de l'armement et par ses appels à l'abolition des armes nucléaires.

SCANDALES D'ABUS SEXUELS

Le pontificat de François a également été marqué par sa tentative de restaurer la crédibilité d'une Église fragilisée par des scandales d'abus sexuels.

En février 2019, le pape François a convoqué près de 200 dirigeants de l'Église à un sommet sur les abus sexuels commis sur des mineurs par le clergé, a publié un décret historique rendant les évêques directement responsables des abus sexuels ou de leur dissimulation, et a aboli le "secret pontifical" pour les cas d'abus. Les groupes de défense des victimes ont déploré que ce soit trop peu, trop tard.

La crise de la COVID-19 a contraint François à annuler tous ses déplacements en 2020 et à tenir des audiences générales virtuelles, le privant du contact humain qu'il recherchait ardemment.

Le 27 mars 2020, alors que le monde entier était soumis à diverses formes de confinement et que le nombre de décès s'accumulait, il a organisé une cérémonie de prière solitaire et spectaculaire sur la place Saint-Pierre, exhortant chacun à considérer la crise comme un test de solidarité et un rappel des valeurs fondamentales.

François a entrepris de réformer la Curie, l'administration centrale de l'Église catholique romaine, tenue pour responsable de nombreux faux pas et scandales qui ont jalonné le pontificat de huit ans du pape Benoît XVI.

Malgré des avancées par rapport aux pontificats précédents, des scandales financiers ont pourtant continué d'entacher le Vatican pendant celui de François.

En 2020, il a pris des mesures drastiques en limogeant le cardinal italien Angelo Becciu, accusé de détournement de fonds et de népotisme et également impliqué dans un scandale impliquant l'achat par le Vatican d'un immeuble de luxe à Londres.

En décembre 2023, Angelo Becciu a été reconnu coupable de plusieurs chefs d'accusation de détournement de fonds et de fraude et condamné à cinq ans et demi de prison. Lui et d'autres personnes condamnées sont libres en attendant leur procès en appel.

En 2019, François a porté le dialogue de l'Église catholique avec l'islam à de nouveaux sommets en devenant le premier pape à visiter la péninsule arabique, mais des conservateurs l'ont qualifié d'"hérétique", déplorant qu'il ait signé un document conjoint sur la fraternité interreligieuse avec les dirigeants musulmans.

Un voyage en Irak en mars 2021, là-encore le premier jamais effectué par un pape, visait à consolider de meilleures relations avec l'islam tout en rendant hommage aux chrétiens dont les communautés vieilles de deux millénaires ont été dévastées par les guerres et le groupe État islamique (EI).

DE BUENOS AIRES AU VATICAN

Fils d'Italiens émigrés en Argentine pendant la Grande Dépression, Jorge Mario Bergoglio est né dans une famille de la classe moyenne du quartier de Flores à Buenos Aires le 17 décembre 1936.

Il a fréquenté un lycée professionnel et a travaillé un temps comme technicien chimiste dans un laboratoire alimentaire. Après avoir décidé de devenir prêtre, il a étudié au séminaire diocésain et est entré dans l'ordre religieux des jésuites en 1958.

Après des études en Argentine, en Espagne et au Chili, il a été ordonné prêtre jésuite en 1969, devenant rapidement le chef de l'ordre en Argentine.

Cette période a coïncidé avec la dictature militaire de 1976-1983, au cours de laquelle jusqu'à 30.000 opposants, souvent de gauche, ont été enlevés et tués.

Le Vatican a toujours réfuté les accusations selon lesquelles François serait resté muet devant les violations des droits de l'homme ou qu'il n'aurait pas protégé deux prêtres qui défiaient la dictature.

En tant qu'archevêque de Buenos Aires de 2001 à 2013, il s'est fréquemment opposé au gouvernement argentin, affirmant que celui-ci devait accorder plus d'attention aux besoins sociaux.

UN DÉMARRAGE SIMPLE

François s'est fait aimer de millions de personnes par sa simplicité lorsqu'il a pris la parole quelques minutes après son élection comme pape, le 13 mars 2013.

"Frères et sœurs, bonsoir", furent ses premiers mots depuis le balcon de la Basilique Saint-Pierre, s'écartant de la salutation traditionnelle "Loué soit Jésus Christ !"

Il prit le nom de François en l'honneur de François d'Assise, le saint associé à la paix, au souci des pauvres et au respect de l'environnement.

Lors de sa première apparition, le nouveau pape n'a pas revêtu la "mozzetta", cape cramoisie bordée de fourrure, et n'a pas non plus porté de croix en or, mais a gardé autour de son cou la même croix en argent plaqué qu'il utilisait lorsqu'il était archevêque de Buenos Aires.

VIE MODESTE

À l'intérieur de la minuscule cité-État, où certains cardinaux vivaient comme des princes dans des appartements décorés de fresques, François a renoncé aux spacieux appartements pontificaux du Palais apostolique et n'a jamais quitté l'hôtel du Vatican où lui et les autres cardinaux entrés au conclave de 2013 étaient logés dans des chambres simples.

La Résidence Sainte-Marthe, un bâtiment moderne doté d'une salle à manger commune, est devenue le centre névralgique de l'Église catholique romaine, qui compte plus de 1,3 milliard de membres.

Son premier voyage en dehors de Rome fut pour la petite île italienne de Lampedusa afin de rendre hommage aux milliers de migrants qui s'étaient noyés dans la Méditerranée en tentant d'atteindre l'Europe et une vie meilleure.

"Dans ce monde globalisé, nous sommes tombés dans la mondialisation de l'indifférence. Nous nous sommes habitués à la souffrance des autres. Elle ne nous regarde pas. Elle ne nous intéresse pas. Ce n'est pas notre affaire", a-t-il dénoncé.

PRESTIGE MONDIAL

François jouissait d'un prestige considérable à l'échelle internationale, tant pour ses appels à la justice sociale que pour ses ouvertures politiques risquées.

Il a effectué plus de 45 voyages internationaux, dont le premier pour un pape, en Irak, aux Émirats arabes unis, au Myanmar, en Macédoine du Nord, à Bahreïn et en Mongolie.

En 2014, des contacts secrets négociés par le Vatican ont abouti à un rapprochement entre les États-Unis et Cuba, longtemps hostiles.

En 2018, il a conduit le Vatican à un accord historique sur la nomination des évêques en Chine, que les conservateurs ont critiqué comme une trahison de l'Église au gouvernement communiste de Pékin.

Sous sa direction, le Vatican et les Nations Unies se sont associés pour organiser des conférences internationales sur le changement climatique et, en juin 2015, il a publié une encyclique dans laquelle il exigeait une "action immédiate" pour sauver la planète.

Dans une interview accordée à Reuters en 2018, il avait déclaré que la décision du président américain Donald Trump de se retirer de l'accord de Paris sur le climat de 2015 l'avait peiné "parce que l'avenir de l'humanité est en jeu". Le pape et Donald Trump étaient en désaccord sur de nombreux sujets, notamment l'immigration.

Tout au long de son pontificat, François s'est engagé en faveur des droits des réfugiés et a critiqué les pays qui rejetaient les migrants.

Il a visité l'île grecque de Lesbos et a amené une douzaine de réfugiés en Italie dans son avion, a demandé aux institutions de l'Église de travailler pour mettre fin à la traite des êtres humains et à l'esclavage moderne.

UNE ÉGLISE POUR LES PAUVRES

Dès le départ, François a envoyé des signaux clairs aux prêtres et aux évêques sur le type d'Église qu'il souhaitait.

Il a déclaré qu'il n'y avait pas de place pour les "carriéristes ou les arrivistes sociaux" parmi le clergé, a dit aux cardinaux qu'ils ne devraient pas vivre "comme des princes" et a déclaré que l'Église ne devrait pas "disséquer la théologie" dans des salons luxueux alors qu'il y a des pauvres au coin de la rue.

Même en tant que pape, François est resté un fervent supporter de l'équipe de football de San Lorenzo, un des nombreux clubs de la capitale argentine.

Malgré ses fréquents voyages à l'étranger, il n'est pourtant jamais retourné dans son pays d'origine.

Dans l'interview accordée à Reuters en 2018, François avait affirmé que l'Argentine ne lui manquait pas. "Seule la rue me manque. Je suis un 'callejero'(un homme de la rue). J'aimerais vraiment pouvoir refaire ça, mais je ne peux pas pour le moment."

(Rédigé par Philip Pullella et Joshua McElwee, version française édité par Blandine Hénault)

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