BYD relance ses activités en Europe après des échecs stratégiques
information fournie par Reuters 23/04/2025 à 12:14

Le logo du constructeur automobile chinois BYD

par Giulio Piovaccari et Nick Carey

BYD, le premier constructeur chinois de véhicules électriques est, selon six anciens et actuels cadres, en train de réorganiser ses activités en Europe après avoir commis des erreurs stratégiques, notamment en ne recrutant pas suffisamment de concessionnaires, en n'étudiant pas suffisamment les marchés locaux, et en ne proposant pas de véhicules hybrides sur les marchés réticents aux VE.

Selon les cadres, qui ont parlé sous couvert d'anonymat, BYD a agi rapidement pour remédier à ces premiers échecs sur les marchés européens d'exportation essentiels, notamment en développant son réseau de concessionnaires et en recrutant des cadres de constructeurs européens avec des rémunérations élevées.

Le leader chinois des VE a également annoncé en décembre que les hybrides rechargeables seraient essentiels à sa stratégie européenne.

Cette décision a été prise après que le conseiller spécial européen de BYD, Alfredo Altavilla - l'un des principaux cadres embauchés pour la relance de BYD en Europe - a informé le fondateur et président du groupe, Wang Chuanfu, qu'une stratégie purement axée sur les véhicules électriques n'était pas adaptée aux pays européens.

"Il a très vite compris le message et a indiqué aux ingénieurs de BYD que chaque nouveau modèle devrait être proposé en version VE et hybride" pour l'Europe, a indiqué Alfredo Altavilla à Reuters.

"Il est nécessaire d'éduquer les clients à la transition écologique", a-t-il souligné.

En décembre, Alfredo Altavilla déclarait en Italie que les véhicules hybrides rechargeables seraient "au cœur de la stratégie de BYD en Europe", estimant qu'il serait "stupide" d'aller à l'encontre des préférences des consommateurs en ne proposant que des VE.

Approché par BYD en juin, Alfredo Altavilla est un ancien cadre de Fiat-Chrysler, et a rejoint le constructeur automobile chinois en août.

Il a à son tour embauché plusieurs directeurs de Stellantis pour le groupe chinois de VE, dont Maria Grazia Davino pour diriger le marché allemand, Alessandro Grosso pour l'Italie et Alberto De Aza pour l'Espagne.

Selon un dirigeant actuel de BYD, le constructeur automobile chinois leur a offert des augmentations de salaire significatives et une "chance de se développer".

Le recrutement de cadres venant de constructeurs automobiles européens témoigne des difficultés de BYD à se développer sur les marchés européens et de ses efforts pour y remédier.

BYD a refusé de commenter.

DES ATTENTES TROP HAUTES ?

Autre signe de la détermination de BYD à renforcer rapidement ses activités en Europe, l'entreprise a confié l'année dernière la responsabilité de la région à sa deuxième dirigeante, Stella Li.

L'ancien responsable européen, Michael Shu, avait prédit que BYD s'emparerait d'au moins 5% du marché européen des véhicules électriques avant de lancer la production dans sa première usine européenne, en Hongrie, plus tard cette année.

Le groupe chinois a toutefois terminé l'année 2024 avec une part de marché de seulement 2,8%, le ventes de BYD totalisant 57.000 véhicules dans la région, en-dessous de ses attentes.

L'urgence pour BYD de se développer en Europe s'explique en partie par la montée en flèche de ses ventes en Chine, qui ont été multipliées par sept depuis 2020 pour atteindre 4,2 millions de véhicules en 2024.

BYD a également dépassé Tesla l'année dernière en tant que premier vendeur mondial de véhicules électriques, et est désormais le sixième constructeur automobile mondial.

Ses concurrents chinois, notamment Chery, Geely, Xpeng et Changan, s'empressent eux aussi d'étendre leurs activités en Europe pour accroître leurs bénéfices, qui sont difficiles à maintenir en Chine en raison d'une guerre des prix prolongée entre de nombreuses marques de VE.

Selon les partenaires de BYD et les experts de l'industrie, le constructeur chinois a reconnu ses problèmes en Europe et a pris des mesures pour les résoudre.

"Ils prennent cela très au sérieux, mais ils doivent comprendre qu'il faut du temps pour construire une position en Europe," a déclaré Tim Albertsen, directeur général d'Ayvens, l'une des plus grandes sociétés de leasing d'Europe et partenaire de BYD dans la région.

"Tout comme les constructeurs automobiles européens ou américains qui arrivent en Chine, ce que les Chinois font bien en Chine ne fonctionne pas toujours en Europe."

Des premiers signes montrent toutefois que le redémarrage de BYD en Europe porte ses fruits. Les ventes européennes de BYD ont plus que triplé au premier trimestre 2025 pour atteindre plus de 37.000 véhicules, contre environ 8.500 au premier trimestre 2024.

Bo Yu, directeur national pour la Chine de la société de recherche JATO Dynamics, a estimé que la force de BYD en Chine reflète en partie sa capacité à "évoluer très rapidement pour donner aux consommateurs ce qu'ils veulent."

Le géant des véhicules électriques, par exemple, a pris de court ses rivaux chinois en février en proposant gratuitement sa technologie de conduite assistée "God's Eye" dans toute sa gamme, y compris dans les véhicules coûtant moins de 10.000 dollars.

Lors du salon de l'automobile de Shanghai se tenant cette semaine, BYD a par ailleurs présenté une énorme exposition de véhicules sous quatre marques différentes, éclipsant ainsi la plupart des autres constructeurs automobiles.

"LES BASES MANQUENT ENCORE"

Essayant tant bien que mal de s'étendre en Europe depuis 2023 après son ascension fulgurante en Chine, BYD avait pour objectif d'être le premier vendeur de véhicules électriques sur le Vieux continent d'ici à 2030.

Le groupe n'a cependant pas étudié les marchés européens au préalable, selon les cadres avec lesquels Reuters a pu s'entretenir.

L'exemple du parrainage coûteux et très médiatisé de l'Euro 2024 de football en Allemagne illustre cette vision. Le groupe s'était alors présenté comme le premier fabricant de "NEV" (véhicules à énergie nouvelle), un terme couramment utilisé mais dénué de sens en Europe.

Le réseau de concessionnaires de BYD était également trop petit et trop concentré dans les grandes villes, ont ajouté les cadres.

BYD prévoit ainsi d'étendre son réseau de concessionnaires de 27 à 120 sites en Allemagne, a déclaré à Reuters en mars Maria Grazia Davino, l'ancienne directrice de Stellantis désormais en charge du marché allemand pour BYD.

En Allemagne en 2024, le plus grand marché automobile d'Europe où 2,8 millions de véhicules ont été vendus l'année dernière, BYD a vendu moins de 2.900 voitures

"Le marché allemand n'est pas facile," a reconnu Maria Grazia Davino. "Les bases manquent encore ici."

Selon certains anciens cadres du groupe, l'erreur principale de BYD a été de traiter l'Europe comme un marché unique - comme la Chine ou les États-Unis - plutôt que comme plusieurs marchés répartis sur les différents pays.

Les marchés nationaux européens seraient semblables à des "grenouilles dans une casserole," qui sautent toutes dans des directions différentes, a comparé un ancien cadre du groupe, ajoutant : "BYD commence à peine à l'apprendre."

(Reportage Nick Carey à Londres et Giulio Piovaccari à Milan ; avec Alessandro Parodi à Gdansk ; version française Etienne Breban ; édité par Augustin Turpin)