Quel est le master plan de Trump ? information fournie par TRIBUNE LIBRE 22/04/2025 à 18:50
Par Laurent Chaudeurge, Membre du comité d'investissement de BDL Capital Management
D. Trump, convaincu que le reste du monde profite abusivement de l'Amérique, souhaite renverser le rapport de forces en s'inspirant des recommandations de son conseiller économique Stephen Miran.Il déroule un plan qui cible autant la réindustrialisation des Etats-Unis que la baisse durable du dollar.
Dans un rapport récent, Miran considère que le dollar est chroniquement surévalué et qu'il est la cause de tous les problèmes américains. Les pays étrangers achètent le dollar pour des raisons économiques mais aussi pour des raisons intangibles liées à son statut de devise de réserve. Ces achats «superflus» sont à l'origine de la surévaluation du dollar. Le déficit commercial de l'Amérique en est une conséquence directe car un dollar fort facilite les importations de produits bon marché et réduit l'attractivité des produits américains à l'étranger.
Miran pense que déficit commercial et désindustrialisation sont intimement liés. Les importations excessives remplacent des emplois américains, des usines sont fermées et le pays devient une économie de propriété intellectuelle et de services qui a délocalisé son appareil productif. Miran raisonne en «économie de guerre», régime dans lequel la production prime sur la consommation. Il estime que la sécurité de l'Amérique est aujourd'hui menacée par des pays comme la Chine et la Russie qui investissent massivement dans leur outil de production et notamment dans leur dispositif militaire.
Ces craintes sont compréhensibles car la COVID a montré qu'une dépendance exacerbée à des chaînes d'approvisionnement délocalisées présentait un risque systémique. De même, si l'Amérique utilise excessivement d'autres pays pour les pièces détachées et les technologies nécessaires à son armement, elle ne contrôle plus son destin. La priorité est donc la réindustrialisation par l'intégration verticale de tous les secteurs stratégiques.
Aux deux problèmes du dollar surévalué et du déficit commercial chronique, il faut ajouter un troisième problème, celui du déficit budgétaire excessif qui fragilise la qualité de la signature des Etats-Unis. Dans chaque cas, Miran a des solutions intéressantes et parfois inédites à proposer.
Concernant le «twin deficit», il juge qu'une politique tarifaire plus agressive est la meilleure solution. D'un côté, elle réduira le déficit commercial et réindustrialisera l'Amérique en décourageant les importations et en incitant les entreprises à produire sur le sol américain. De l'autre, elle diminuera le déficit budgétaire en faisant rentrer de l'argent dans les caisses grâce aux tarifs plus élevés.
Concernant la surévaluation de la devise américaine, Miran propose que d'autres pays vendent une partie de leurs réserves en dollars, constituées notamment de Treasury bills. Il faudra les convaincre par la négociation, ou par la «force», en utilisant la double menace des tarifs et du retrait de l'aide militaire. Il émet l'idée d'un «club».
Si un pays est dans «le club», il a des tarifs réduits et une aide militaire. En contrepartie il facilite la baisse du dollar. Si le pays n'est pas dans le club, il subit des tarifs prohibitifs et un retrait de l'aide militaire.
Cependant, Miran anticipe que les ventes de Treasury bills des pays du «club» pourraient compromettre la crédibilité du dollar comme devise de réserve et faire monter dangereusement les taux longs. Un scénario défavorable aux frais financiers des Etats-Unis mais aussi au marché immobilier américain dont le financement est indexé sur les taux longs. Il propose donc que les pays du «club» remplacent une majorité de leurs Treasury bills par des obligations à 100 ans du gouvernement américain. Cela freinerait une éventuelle hausse des taux longs, le risque de défaut des Etats-Unis deviendrait minime et le dollar conserverait son statut de devise de réserve. Pour convaincre les pays d'assumer un tel risque de duration, il propose que la FED s'engage à rembourser ces obligations au pair en cas de crise.
Pour résumer, Trump et ses conseillers veulent réindustrialiser les Etats-Unis. Leurs priorités sont la réduction du déficit commercial et la baisse du dollar, deux objectifs a priori divergents. La réussite de ce plan passe par un mélange des genres où les intérêts économiques et militaires sont intriqués et où l'autonomie de la Fed est compromise. Le niveau d'incertitude a définitivement franchi un palier car les méthodes envisagées n'ont jamais été testées à grande échelle. Attention à ce que le passage de cette ligne de crête étroite n'occasionne pas de faux-pas regrettable.