
Le prix du champagne a augmenté d'environ 40% depuis 2022. (crédit : Adobe Stock)
Baisse importante des ventes depuis deux ans, perte de réputation, problématiques socio-environnementales… les nuages obscurcissant le ciel champenois se multiplient. La star des vins pourrait subir un bashing sans précédent si elle ne se réconcilie pas rapidement avec des consommateurs et distributeurs qui ne comprennent pas les récentes hausses de prix, au regard d'une qualité qui se banalise face à la concurrence.
Tous les ingrédients sont réunis pour que le champagne subisse un bashing de grande envergure. Le bashing, terme anglais qui signifie littéralement «donner une raclée», renvoie à un dénigrement collectif. Le terme n'est pas nouveau dans le domaine du vin, il a été intensivement employé pour le Bordeaux durant la décennie 2010. S'il semble se tarir, le Bordeaux Bashing a été particulièrement délétère pour l'appellation française. Ce qui s'est passé durant ce précédent peut-il se reproduire, les mêmes causes produisant les mêmes effets? Quels sont ces ingrédients qui pourraient produire une nouvelle crise?
+40% en trois ans
Le bashing qui a frappé Bordeaux s'est enraciné dans une perception d'arrogance des prix pratiqués par certains grands châteaux. Lorsque les hausses de prix ne sont pas comprises par les distributeurs et les consommateurs, un malaise apparaît. Le risque est qu'il se transforme en rejet du produit dont la valeur perçue ne cadre plus avec son prix. Or, le prix du champagne a beaucoup augmenté ces dernières années, au-delà de l'inflation. Le consommateur aurait vu les prix croître d'environ 40% depuis 2022).
Sur une période aussi courte, une hausse brutale des prix est difficilement attribuable à une augmentation équivalente de la valeur. D'autant que cette hausse s'avère bien plus importante que celle des autres vins, tranquilles comme pétillants. L'inflation subie par Champagne sur les matières sèches (verre, collerette, bouchon, etc.) ne peut justifier qu'une partie de cette hausse.
L'écart de prix avec la concurrence – du crémant sur le marché français et, à l'échelle mondiale, le Cava espagnol et plus encore le Prosecco italien – interpelle les consommateurs. Sachant que simultanément d'autres concurrents, souvent très qualitatifs, gagnent en popularité. À commencer par les pétillants anglais ou le franciacorta italien.
Veuve Cliquot, go home!
C'est aux États-Unis que les indices d'un rejet sont les plus nets, notamment auprès des consommateurs les plus jeunes. La nouvelle génération ne perçoit plus la proposition de valeur du Champagne.
Ainsi, le déréférencement de Veuve Clicquot dans certains grands restaurants new-yorkais peut certes paraître anecdotique, mais on peut aussi y voir un symbole brûlant de la perte de réputation du Champagne. Le déréférencement et la substitution par d'autres vins chez les distributeurs sont des indices clés de l'émergence d'un bashing. Car les distributeurs font et défont les réputations.
Une standardisation croissante
Au-delà même du prix, les distributeurs reprochent à Champagne une certaine standardisation, voire une industrialisation des vins avec la montée en puissance depuis une vingtaine d'années des maisons de Champagne (négociants) par rapport aux vignerons indépendants produisant et commercialisant leur propre champagne. Ces derniers représentaient plus de 25% de la production en 2000 contre moins de 18% aujourd'hui.
Or on sait que les marqueurs du luxe sont liés à l'authenticité et au caractère unique et artisanal d'un produit. Le décalage entre le prix et la valeur perçue n'en est que plus criant car ces maisons de Champagne sont de plus en plus associées à la standardisation.
Des problématiques sociétales persistantes
Dernier ingrédient du cocktail explosif du bahsing, la médiatisation de problématiques sociales aiguës. Les conditions de travail en Champagne ont focalisé l'attention des médias lors de la canicule en 2023. En cause, la mort de plusieurs vendangeurs. Mais au-delà, il existe une véritable crise sociale dans la région avec un partage de la valeur remis en question par les salariés.
S'y ajoute un bilan carbone défavorable à cause du poids de la bouteille de Champagne, qui pourrait s'avérer délétère à l'export à court terme dans des pays comme le Canada ou la Norvège. La bouteille représenterait près de 30% du bilan carbone du vignoble champenois. Sans oublier un retard avéré dans le passage au bio pour lequel des freins importants existent.
Vers un emballement médiatique?
Bref, n'en jetez plus, la coupe est pleine. Tous ces griefs, pour injustes qu'ils puissent parfois être ou paraître aux producteurs champenois, rappellent clairement ce qui a été reproché aux vins de Bordeaux : prix trop élevés non justifiés, standardisation de l'offre, médiatisation des problèmes sociétaux.
Tous les ingrédients du cocktail semblent réunis pour assister à l'émergence d'un Champagne bashing, qui pourrait s'emballer… jusqu'à devenir incontrôlable et incontrôlé. Car le risque est bien celui d'un engrenage où le rejet du produit par certains alimente son rejet par d'autres. C'est ce que doit à tout prix éviter le champagne. Or l'affaire est mal partie, car les ventes chutent déjà dans un contexte de marché plutôt favorable aux vins pétillants.
Des ventes en berne
Ironie du sort, la stratégie champenoise de hausse de prix pour signaler une montée en gamme et se différencier de la concurrence est en train d'ouvrir un boulevard à ladite concurrence! Dans un environnement économique difficile et inflationniste, cette stratégie périlleuse s'avère contre-productive au regard de la baisse sévère des ventes ces deux dernières années. Après 325 millions de bouteilles expédiées en 2022, on atteint seulement 299 millions en 2023 et 271 millions de bouteilles en 2024. Le chiffre d'affaires suivant une tendance similaire sur la quasi-totalité des marchés. Au contraire, les autres vins pétillants voient leurs ventes s'accroître sur la même période.
Peut-on y voir le résultat d'un champagne bashing qui aurait commencé, même s'il est encore sous les radars? Les signaux faibles sont là et la douloureuse expérience bordelaise souligne le danger. La nécessité d'actions stratégiques et de communication, le fait de ne pas rester dans sa tour d'ivoire, pour éviter tout engrenage dans la perte de réputation, représentent un enjeu crucial pour toute l'appellation champenoise. D'autant que les exportations pourraient souffrir même sans bashing avec la hausse des droits de douane américains.
Par Jean-Marie Cardebat
Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Professeur affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux
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Cet article est issu du site The Conversation