Annus horribilis. Pendant la pandémie, le groupe a grandi trop vite. L'inflation des coûts et des clients moins dépensiers vont plonger les comptes dans le rouge en 2022. L'heure des économies a sonné.
En vingt-huit ans d'existence, Amazon n'avait goûté que le miel des victoires. Les superlatifs élogieux accompagnaient son nom. Son parcours boursier défiait les lois de l'apesanteur. Le retour sur terre est forcément douloureux : la croissance n'est plus au rendez-vous, la rentabilité a fondu, la machine à cash s'est grippée et la capitalisation a plongé de 50%. 2022 devrait donc rester dans les annales de l'histoire du groupe de Seattle comme une année noire. Voilà trois trimestres consécutifs que les résultats sont inférieurs aux attentes des analystes financiers. Des mots tels « recul », « pertes » ou « cash-flow négatif », qui ne faisaient pas partie de son vocabulaire, sont soudainement apparus.
Activités américaines dans le rouge
Les trois mois à fin septembre, encore dans tous les esprits, résument parfaitement la situation. Si le chiffre d'affaires global a encore progressé de 15% pour s'établir à 127,1 milliards de dollars, la dynamique de la filiale AWS, sa vache à lait dans le cloud, a ralenti. Les facturations n'ont progressé « que » de 27% sur le trimestre, un rythme bien moins soutenu qu'auparavant (entre +35% et +50%).
Du côté de la rentabilité, la dégradation est encore plus marquée : la division Distribution en Amérique du Nord a plongé dans le rouge, à hauteur de 400 millions de dollars (contre un bénéfice de 900 millions l'année précédente à la même période) et la distribution à l'international, qui est déficitaire depuis longtemps, a creusé ses pertes à 2,5 milliards de dollars. Enfin, AWS, dont le taux de marge opérationnelle permettait au groupe d'afficher une belle rentabilité globale malgré la faiblesse de celle des autres activités, a perdu de son lustre : il est revenu de 30,3% à 26,3%. Sur le front de la génération de cash-flow libre, c'est pire, puisque la société en brûle (–2,5 milliards au troisième trimestre).
Et comme un malheur n'arrive jamais seul, les prévisions de la direction pour le dernier trimestre ont déçu le marché, avec une guidance de résultat opérationnel à laquelle il manquait 1 milliard de dollars pour coller aux attentes des analystes. Le contraste est frappant par rapport à 2020, année de tous les records : la croissance frôlait 40%, la rentabilité opérationnelle culminait à 5,9% (elle tombera cette année à 2,5%) et l'entreprise affichait une génération de trésorerie libre de près de 26 milliards de dollars.
Comment peut-on expliquer une telle descente aux enfers ? Jusqu'ici, le mécanisme de réussite était parfaitement huilé et s'appuyait sur les idées géniales du fondateur Jeff Bezos : répondre aux attentes des clients de manière parfaite afin de les fidéliser et ainsi nourrir le club Prime (abonnés payants qui dépensent bien plus que les autres). Ouvrir la plateforme à d'autres marchands pour toucher de juteuses commissions, vendre de plus en plus de services payants, faire de la publicité (activité très lucrative) et surtout, développer AWS. Cette filiale, leader mondial du cloud aux profits faramineux, lui a permis d'investir et de recruter à tour de bras. Par exemple, pendant la crise sanitaire, les effectifs mondiaux ont doublé.
Logistique à optimiser
La société ne comptait pas les dollars pour optimiser sa logistique, le nerf de la guerre dans la distribution, ou pour investir dans l'innovation (intelligence artificielle, etc.). Acquérir de nouvelles surfaces de stockage pour se rapprocher des clients, robotiser les processus afin de raccourcir au maximum les délais de livraison (promesse de livrer en un jour les clients Prime), réaliser des acquisitions pour élargir l'offre... De 12 milliards en 2017, les investissements ont atteint 61 milliards en 2021. Lorsque la croissance était au rendez-vous, ces dépenses étaient faciles et les pertes de la division internationale ou celles de sa branche Terminaux et services (dont Alexa, l'assistant vocal) passaient quasi inaperçues. Selon certains experts cités dans le Wall Street Journal, cette activité perdrait autour de 5 milliards de dollars par an. La crise économique a tout fait basculer.
L'inflation galopante a grevé le pouvoir d'achat des ménages, la guerre en Ukraine a renchéri les matières premières (le fioul représente 20% de ses frais de port) et la politique zéro Covid chinoise a bouleversé le fret mondial. La belle mécanique amazonienne s'est grippée et Andy Jassy, le patron depuis juillet 2021, va devoir apprendre la rigueur. Dans une interview au média américain Vox, lors de la conférence Code en septembre dernier, il explique : « En 2020, notre croissance était de 39%. Nous avons alors pris la décision d'agrandir nos capacités et notre réseau de transport. L'inflation inhabituelle nous conduit aujourd'hui à améliorer notre efficacité. Nous sommes concentrés sur l'optimisation. » Les économies seront faciles à trouver. Amazon dispose de trop de capacités de stockage. La firme aurait créé en deux ans autant de mètres carrés d'entrepôts que Walmart en cinquante ans. L'heure est à la baisse des coûts et les salariés devraient en payer le prix. Il se dit, dans la presse américaine, que 10.000 postes (sur un effectif total de 1,5 million) pourraient être supprimés. La société pourrait se séparer d'actifs non rentables.
Dans la distribution, une place plus grande pourrait être dévolue aux marchands, ce qui réduirait ses frais de stockage et de transport. Parallèlement, le groupe devrait mettre les bouchées doubles dans ses divisions les plus lucratives, la publicité et AWS. Non seulement, elles progressent toujours, mais leur marge demeure élevée. L'expansion déraisonnable d'Amazon a connu un arrêt brutal cette année. Redresser la rentabilité est devenu un objectif stratégique. Pour parfaire le tableau, il restera au groupe à accentuer ses efforts pour protéger l'environnement, mieux traiter son personnel et améliorer la transparence fiscale. Le chantier est gigantesque.
Les prochaines annonces pourraient peser à court terme. Nous sommes partisans d'acheter en baisse, vers 83 dollars.
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