Société marseillaise créée il y a une trentaine d'année, et toujours dirigée par son fondateur, Catering International CIS est bien, comme son nom anglais l'indique, un restaurateur avec 51 millions de repas servis en 2020, mais c'est aussi et surtout un gestionnaire de bases vie. (crédit : CIS)
Marchés financiers et macro-économie : une relation compliquée
Il faut se rendre à l'évidence : les marchés financiers sont censés réagir aux aléas conjoncturels, voire les anticiper, mais ce n'est pas aussi simple que cela. De fait, s'il est sûr et certain qu'un des principaux moteurs des marchés d'actions est l'évolution, vers le haut ou vers le bas, des résultats connus et à venir des entreprises qui y sont cotées, on a toujours du mal à bien faire le lien entre l'état présent tel qu'on le perçoit, et futur tel qu'on l'envisage, des économies.
Bien sûr, il y a les fameux consensus, des agrégations et des moyennes de tout ce que prévoient les analystes de nos sociétés de Bourse parisiennes et ceux des grands brokers anglo-saxons, mais il y a toujours un gouffre entre ces consensus d'une part et les prévisions macro-économiques pondues par des instituts au-dessus de tout soupçons car internationaux comme l'OCDE ou encore le FMI, d'autre part.
Un gouffre que cherchent à combler les stratégistes de marché toujours affairés à combiner des scénarios économiques des plus aléatoires avec des stratégies d'investissements possibles. Lesquelles sont censées quant à elles procurer un retour financier optimum : le meilleur avec le moins de risque possible, à qui décide (bien inconsciemment ?) de placer un peu de ses économies en Bourse. Ce qui n'est pas de la tarte, on en conviendra aisément.
Essayer de savoir où on en est dans le cycle, c'est déjà beaucoup
L'avenir étant ce qu'il est : difficile à discerner, le biais adopté le plus communément consiste à revoir les prévisions à chaque nouvelle qui change le présent, et en d'autres termes à se laisser mener par la dictature du court-terme.
Une autre solution étant de ne jamais faire de prévisions, comme disait un économiste célèbre, puisque celles-ci sont toujours fausses par construction. Mais ce n'est pas exactement ce que demandent les décideurs, patrons de société et gérants de portefeuilles qui en ont bien besoin quoiqu'il arrive. Il faut donc prendre les prévisions pour ce qu'elles sont : un cadre vague, mais bien utile pour prendre des décisions. Et se tromper avec les meilleures intentions du monde.
Ce qui ne nous dispense pas d'essayer tous les jours de savoir où en est la conjoncture et où elle va : si les affaires sont bonnes, et si elles pourraient le rester un certain temps encore, bref, savoir à quel stade du cycle économique nous sommes. Car il y a toujours un cycle, même si ce n'est jamais deux fois la même chose.
Le cycle est bon en ce moment, grâce aux nouveaux gains de productivité ?
On peut noter à ce sujet que si les économistes et les stratégistes s'inquiètent en ce moment des disruptions variées dans les chaînes de valeurs, du retour de l'inflation et des vertiges métaphysiques supposés des banquiers centraux, la sphère réelle a l'air de porter bien, voire très bien et que, manifestement, les affaires sont bonnes presque partout. Et bien meilleures, aussi bien aux USA qu'en Europe, que ce qu'annonçaient les prévisionnistes il y a quelques trimestres.
Une conjoncture soutenue par des gains de productivité que l'on n'a pas encore bien mesuré ? Après tout, chacun a pu constater qu'il est bien plus efficace en télétravail qu'à son poste habituel dans un bureau paysager bondé et bruyant. Ce qui a pourtant été le lot commun des salariés ces vingt dernières années jusqu'à la crise sanitaire. Ceci alors que, de plus, on a moins besoin de "manager" le personnel, soit éventuellement une strate hiérarchique en moins, et, dans un monde idéal, des managers retournés à des tâches productives aussi.
Une histoire qui amène au moins deux remarques :a) si elle se vérifie, c'est un changement structurel, et un soutien durable à l'activité, et le cycle pourrait rester bon un certain encore, b) faire confiance à ses salariés, surtout quand ils sont au loin, c'est vraisemblablement très bon pour la dynamique d'une société.
Et cela semble bien être le cas pour Catering International - CIS, qui a l'essentiel de son activité et de ses salariés hors de France, et souvent très loin, il faut le dire.
CIS : partout dans le monde
Société marseillaise créée il y a une trentaine d'année, et toujours dirigée par son fondateur, Catering International CIS est bien, comme son nom anglais l'indique, un restaurateur avec 51 millions de repas servis en 2020, mais c'est aussi et surtout un gestionnaire de bases vie, et pas n'importe lesquelles : non seulement sur de grands chantiers en environnements urbains, mais aussi et surtout des sites miniers loin dans la campagne, voire des plateformes offshore encore plus loin en mer, et, tant qu'à faire, souvent dans des environnements extrêmes et dans des endroits isolés et déserts. Et gérer des bases vie consiste aussi à s'occuper de tout pour le compte du client grand groupe de BTP, compagnie minière ou pétrolière : non seulement cantine et hébergement, mais aussi blanchissage, gestion technique des installations ("facility management" en bon français), désinfection (depuis le covid), etc…, le client s'occupant de fournir le bâti, et éventuellement le gardiennage-sécurité.
Enfin, comme son nom l'indique bien aussi, CIS est très international, c'est-à-dire un peu partout dans le monde avec 230 sites opérationnels et près de 13 000 salariés appartenant à plus de 50 nationalités, le tout pour un chiffre d'affaires de 265 millions d'euros attendu pour cette année. En 2020, CIS avait 56% de son activité en Afrique et au Moyen Orient (Algérie, Arabie Saoudite, Mauritanie, Niger, Sénégal, Gabon, Malawi, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Erythrée, Mozambique, etc…), 30% en Eurasie (Russie, Kazakhstan, Mongolie) et 14% au Brésil et en Bolivie.
Beauté du modèle d'affaire international : croissance, free cash-flow et bon bilan
On remarquera que CIS ne suit apparemment pas les traces de sa grande aînée Sodexo, autre société marseillaise qui a commencé dans la gestion de bases vie elle aussi, mais a fini par dériver dans la pure cantine d'entreprise et, pire encore, dans les tickets restaurants.
De fait, concentré sur son métier, CIS est avant tout très local partout où il opère, avec 98% des salariés recrutés sur place en moyenne. Et implanté localement le mieux possible : chaque filiale a l'obligation de s'impliquer dans des projets de développement locaux, à la fois motivants pour les équipes en place, et, pour employer un vocabulaire ESG un peu pompeux (CIS parle plus modestement d'engagements "pertinents et efficaces"), propres à bien valoriser la société en tant qu'entreprise citoyenne auprès de ses parties prenantes.
Des arguments qui plaident pour une bonne exécution des contrats, et qui aident vraisemblablement bien CIS à en décrocher de nouveaux, à bien fidéliser les clients, puisque le taux de renouvellement a été de 95% en 2020, et à faire de la croissance année après année, avec un nombre d'employés en augmentation régulière de +5 à +6% par an ces dernières années.
Soit une croissance rentable, avec une marge opérationnelle (le résultat opérationnel : le résultat avant frais financiers et impôt sur les sociétés, rapporté au chiffre d'affaires) oscillant entre 4% et 5% année après année, ce qui est plutôt bien dans ce métier de services à forte intensité de main d'œuvre. Et une rentabilité suffisante pour générer régulièrement du free cash-flow, autrement dit de la trésorerie libre, puisque ce métier est par contre très peu intense en capital, et requiert donc peu d'investissements.
Ce qui se traduit in fine par un bilan plutôt très confortable, puisque CIS a nettement plus de cash dans la caisse de son bilan consolidé que de dettes financières.
De bons résultats récents, même si les changes brouillent un peu tout
Inutile de préciser qu'avec cette très forte exposition à l'international hors Union Européenne, les changes ont un impact sur les chiffres de la société, certaines monnaies, telles le réal brésilien, le dinar algérien ou le rouble russe fluctuant souvent beaucoup par rapport à l'euro des comptes. L'activité de CIS a de fait reculé de -3,8% en 2020 dans le chiffre d'affaires publié, mais est en croissance de +8,3% hors changes, et ce malgré les perturbations liées à la pandémie : CIS s'est bien développé en Russie, au Kazakhstan, en Algérie et en RDC, ainsi qu'au Brésil, après le rachat de deux petits acteurs locaux en mai 2019 : Alternativa et Beta, et en ouvrant trois nouveaux pays en Afrique (Gabon, Sénégal et Cameroun). Par ailleurs, si les compagnies pétrolières ont nettement ralenti leur activité en 2020 avec un baril descendu un temps à 27$/baril, ce qui a jeté un froid, rappelons-le, les compagnies minières ont par contre augmenté leurs effectifs pour compenser les quarantaines, alors que CIS a par ailleurs vendu de nouvelles prestations : hygiène et désinfection, à ses clients. La bonne activité malgré tout se traduisant par un très bon niveau de marge opérationnelle, soit 5,1%.
De même, au premier semestre 2021, CIS a réalisé l'équivalent de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires en plus par rapport au premier semestre 2020 sur la base de parités de change de 2020, mais ces 20 millions en plus sont devenus 1 million en moins une fois traduits en euro aux cours du 30 juin.
Le chiffre d'affaires de CIS sur les six premiers mois de l'année a de fait reculé de -0,9% en publié, mais progressé de +11,9% (dont +19,2% au deuxième trimestre) à données constantes, ce qui n'est pas rien. Le tout avec toujours un bon niveau de marge opérationnelle cependant, soit 4%. Et une situation de trésorerie nette très largement positive une fois, et donc un très bon bilan, de plus à fin juin.
Quelques petits bémols, comme il se doit
On notera que le bilan n'est toutefois pas tout à fait aussi beau qu'il y paraît : sur les 50 millions d'euros de trésorerie en caisse à fin juin, environ 32 millions ne sont pas disponibles, pour le moment en tout cas, pour la société. Puisqu'il s'agit de la trésorerie de la filiale algérienne CNAS, alors que la Banque d'Algérie, très pointilleuse dans sa mission de contrôle des changes, freine des quatre fers tout transfert de dividende vers l'étranger. Un bilan qui reste néanmoins peu endetté si l'on fait abstraction de cette somme dans un calcul d'endettement net (: dette financière - liquidités) rapporté aux Fonds Propres, soit un ratio de 22% seulement qui reste des plus présentables.
Notons pour finir que changes peuvent perturber la visibilité en dessous du chiffre d'affaires : malgré une belle performance opérationnelle, le résultat net (la dernière ligne du compte d'exploitation) déclaré 2020 est très négatif du fait d'un fort impact des écarts de changes comptabilisés dans le résultat financier.
Toute la question étant de savoir, ce qui n'est pas vraiment précisé dans le rapport annuel, si ces écarts de changes sont des pertes actées ou seulement les impacts comptables de la traduction en euros.
Une vraie question pour l'investisseur, et pour l'analyste quand celui-ci décide de retraiter tout ce qui est non-cash et non-récurrent dans les comptes pour se faire une meilleure idée du modèle d'affaire, et surtout de son potentiel (puisque c'est ça qu'on achète en principe).
Mais, de grâce, évitons tout débat entre puristes, et restons-en aux évidences : CIS fait de la croissance, de la croissance rentable et génératrice de cash qui plus est, et le potentiel semble bel et bien toujours là. Où est le problème ?
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