
Les sièges respectifs de la Fed et de la BCE. (Crédits: Federal Reserve / BCE)
La baisse des taux d'intérêt va-t-elle s'arrêter en zone euro ? Verdict jeudi 6 mars avec la réunion de politique monétaire de la BCE. En partie alimentée par la hausse des prix de l'énergie, l'inflation continue de peser sur les grands argentiers. Patrick Artus explique pourquoi BCE et FED ne maîtrisent pas l'évolution de l'indice des prix.
Nous allons nous concentrer sur la situation des Etats-Unis et de la zone euro. Le diagnostic porté sur l'inflation par la Réserve Fédérale et la Banque Centrale Européenne est très différent. Aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale s'inquiète de la persistance de l'inflation et a décidé lors de la dernière réunion du FOMC de laisser ses taux directeurs inchangés, avec une fourchette de 4,25 - 4,50 % pour l'objectif du taux des Fed Funds. Dans la zone euro, lors de sa dernière réunion à la fin du mois de janvier 2025, la BCE s'est montrée très confiante pour l'évolution de l'inflation dans le futur. Lors la conférence de presse qui suit le meeting, Christine Lagarde déclarait que "la plupart des mesures de l'inflation sous-jacente suggèrent que l'inflation va s'installer durablement autour de l'objectif d'inflation (de 2 %)". Quelle est en réalité la situation de l'inflation aux Etats-Unis et dans la zone euro ?
La Fed a raison de s'inquiéter
Aux Etats-Unis, l'inflation totale est sur une tendance ascendante sur les derniers mois. Elle était de 2,4 % en septembre 2024, elle est de 3% en janvier 2025. Mais ce mouvement ascendant est dû à la disparition de la baisse, sur un an, des prix de l'énergie ; en septembre 2024, le prix à la consommation de l'énergie aux Etats-Unis était en baisse de 6,8 % sur un an, en janvier 2025 il est en hausse de 1 %. Si on regarde l'inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) elle est complètement stable (+ 3,3 % sur un an aussi bien en janvier 2025 qu'en septembre 2024) ; ce niveau élevé de l'inflation, qui inquiète la Réserve Fédérale, est dû à la hausse rapide des prix des services (+ 4,3 % sur un an en janvier 2025). La Réserve Fédérale doit de plus s'alarmer des effets sur l'inflation des politiques économiques décidées par D. Trump.
La hausse des droits de douane, dont la nature exacte ne cesse de se modifier (droits de douane sur les importations depuis la Chine, sur les automobiles importées aux Etats-Unis, sur l'acier et l'aluminium importés, peut-être droits de douane globaux mis par les Etats-Unis au même niveau que ceux des partenaires commerciaux des Etats-Unis) fait clairement monter les prix intérieurs américains. Le rejet de l'immigration clandestine va conduire à une tension croissante sur le marché du travail et à des hausses plus fortes des salaires ; enfin la déréglementation généralisée va renforcer le caractère monopolistique des entreprises américaines, qui est à l'origine d'une hausse de l'inflation due à celle des marges bénéficiaires des entreprises (depuis 2021, les prix de vente des entreprises américaines ont augmenté de 5% de plus que les coûts salariaux unitaires). Au total, la Réserve Fédérale a raison de s'inquiéter du maintien d'une inflation nettement supérieure à 2%.
Les difficultés de recrutement vont rester élevées
Comme il a été dit plus haut, la BCE est très confiante dans le retour rapide de l'inflation autour de 2%. L'inflation totale est dans la zone euro de 2,5 % sur un an en janvier 2025 contre 1,7% en septembre 2024. Comme aux Etats-Unis, cela est dû au passage d'une baisse forte des prix de l'énergie (-6,1% sur un an en septembre 2024) à une hausse de ces prix (+1,9% en janvier 2025). L'inflation sous-jacente (hors énergie et aliments non transformés) est stable (2,7% sur un an aussi bien en janvier 2025 qu'en septembre 2024), alimentée par la hausse des prix des services (+ 3,9 % sur un an en janvier 2025, le même chiffre qu'en septembre 2024). Mais la BCE compte sur la faiblesse de la croissance de la zone euro (les prévisions de croissance pour 2025 sont comprises entre 1,1 et 1,3%) pour freiner l'inflation.
On peut douter de la réalité de ce mécanisme. Dans la zone euro, la productivité du travail stagne. Cela implique qu'une croissance du PIB de 1% implique une croissance de l'emploi de 1%, alors que la population en âge de travailler diminue et que les obstacles à l'immigration sont croissants. Cela implique que les difficultés de recrutement des entreprises, qui sont fortes aujourd'hui, vont rester élevées, que les hausses des salaires vont rester assez fortes (le consensus est une hausse des salaires de 3,5% sur un an en 2025 après 4,5% en 2024), et que les coûts salariaux unitaires, qui sont la cause des hausses de prix, vont augmenter de plus de 3%. Tous les ingrédients sont réunis pour que l'inflation sous-jacente demeure nettement supérieure à 2%. L'optimisme de la BCE quant à l'évolution de l'inflation dans la zone euro n'est donc probablement pas justifié.
On voit donc que les deux banques centrales ne maîtrisent pas l'inflation. Aux Etats-Unis, en raison de l'inflation qui vient de la hausse des marges bénéficiaires des entreprises (qui provoque un supplément d'inflation de 1,3 point par an) ; dans la zone euro, en raison de la stagnation de la productivité. Les marges bénéficiaires des entreprises, (et donc le caractère plus ou moins concurrentiel des marchés des biens et services), et la productivité du travail (et donc l'effort de Recherche-Développement, d'investissement en Nouvelles Technologies) ne sont pas des variables qui peuvent être influencées par la politique monétaire.
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