Jinjoo Lee,
The Wall Street Journal
Encouragé par le succès de ses lingots d'or et pièces d'argent, le géant américain des clubs-entrepôts Costco vient d'ajouter les barres de platine à son offre de métaux précieux. Même si le métal précieux n'a pas brillé aussi fort que les deux autres cette année (l'or et l'argent), ses fondamentaux semblent solides comme le roc.
Le platine est le "dernier petit nouveau", observe Edward Sterck, directeur de la recherche du World Platinum Investment Council (WPIC). Il n'a été véritablement identifié qu'au 19e siècle, parce qu'il est toujours associé, lors de l'extraction, à d'autres minerais et qu'il arbore un point de fusion très élevé. Il est en outre 30 fois plus rare que l'or, souligne Edward Sterck. Tout ceci implique également que les investissements dans le platine ne sont pas encore très courants. Le marché des produits d'investissement dans le platine ne représente encore qu'une fraction de ceux dédiés à l'or et l'argent, relève Robert Minter, directeur de la stratégie d'investissement chez Abrdn, qui gère le plus grand fonds indiciel coté (ETF) dédié au platine.
Pourtant, les particuliers montrent depuis quelque temps un vif intérêt pour le métal blanc. Au premier semestre 2024, les investissements ont alimenté la demande à hauteur de 579.000 onces troy, soit environ 13% de la demande totale de platine, essentiellement via des ETF, selon Metal Focus. Le platine a pourtant fait beaucoup moins bien que l'or et l'argent cette année. Les prix ont reculé d'environ 1,5% depuis janvier, tandis que les prix de l'or et de l'argent ont augmenté de 29% et 32% respectivement, et ce, alors même que la demande de platine a dépassé l'offre l'an dernier.
Metal Focus s'attend à ce que le déficit d'offre se creuse encore en 2024. La faiblesse du prix du platine s'explique peut-être en partie par sa position intermédiaire en tant que métal vert. Une grande partie de la demande - entre 30% et 44% - provient de l'industrie automobile, où le platine est utilisé pour fabriquer les pots catalytiques destinés à réduire les émissions des pots d'échappement, selon le WPIC. Au cours des dernières années, la prévision selon laquelle les voitures électriques, sans platine, prendraient le pas sur les voitures à combustion interne a eu pour effet d'étouffer un peu l'intérêt pour le métal.
DES STOCKS DEPUIS LE COVID ET LA GUERRE EN UKRAINE
En outre, plusieurs constructeurs automobiles s'étaient constitués des stocks de platine après la pandémie de Covid, notamment au début 2022, pour se prémunir de potentiels problèmes d'approvisionnement après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, selon une présentation aux investisseurs réalisée par Anglo American Platinum. La Russie est le deuxième plus grand producteur de platine après l'Afrique du Sud.
La demande de platine de l'industrie automobile a crû de 17% entre 2019 et 2023, selon les données de Metals Focus. La demande pour les voitures conventionnelles s'est bien portée, et a même rapidement progressé pour les véhicules hybrides, qui nécessitent en réalité encore plus de métaux du groupe platine (MGP), qui comprend, outre le platine, le ruthénium, le rhodium, le palladium, l'osmium, l'iridium et parfois le rhénium. Les moteurs thermiques des voitures hybrides sont moins fréquemment sollicités et démarrent donc souvent à froid, ce qui pollue davantage et nécessite plus de platine pour convertir les gaz d'échappement.
L'industrie automobile n'abandonnera sans doute pas le platine avant longtemps: les ventes de véhicules hybrides aux Etats-Unis se sont révélées l'an dernier supérieures à celles des voitures électriques, et ce devrait encore être le cas cette année, selon Edmunds. Les constructeurs ont réduit leurs investissements dans les voitures électriques et augmentent au contraire leur production de voitures hybrides. La demande de platine est également plus forte qu'attendu parce que l'industrie automobile s'est détournée du palladium, plus cher, au profit du platine pour les voitures à essence.
Par ailleurs, la demande émanant d'autres industries, comme la chimie, le pétrole, le verre ou la pharmacie, s'est bien tenue ces dernières années. Le rôle du platine comme catalyseur d'hydrogène mérite également d'être suivi de près, même si cette industrie n'a pas encore atteint la taille suffisante pour soutenir substantiellement la demande.
PRESSION SUR LES MINES
Les observateurs du secteur industriel n'anticipent pas d'augmentation prochaine de l'offre de platine, entre autres parce que le métal est toujours extrait en même temps que d'autres minerais. Or la faiblesse des prix du palladium et du rhodium exerce une pression économique sur les groupes miniers, ce qui a pour effet de limiter l'extraction, explique Edward Sterck. Les fréquentes coupures d'électricité dont pâtit l'Afrique du Sud, qui produit environ 70% de l'approvisionnement mondial, ont également pesé sur l'offre ces dernières années.
De surcroît, l'offre de platine recyclé à partir de voitures destinées à la casse diminue chaque année depuis 2021, sans doute parce que les voitures restent plus longtemps en circulation. Elles sont plus durables, et les automobilistes, confrontés à une envolée des traites mensuelles associées aux voitures neuves, préfèrent les garder plus longtemps. L'âge moyen des voitures aux Etats-Unis est en constante augmentation: il a atteint en 2024 un record de 12,6 ans, selon S&P Global Mobility.
Pour l'heure, les stocks déjà constitués pourraient absorber le déficit. Néanmoins, ils ont diminué de 15% en 2023 et devraient diminuer encore de 25% en 2024, selon Metals Focus. J.P. Morgan s'attend à ce que les prix du platine atteignent 1.200 dollars l'once troy dans le courant 2025, contre environ 994 dollars actuellement. Citi anticipe une augmentation à 1.100 dollars l'once troy au cours des 6 à 12 prochains mois, notant que le marché devrait rester en déficit sur les deux prochaines années. Autre catalyseur potentiel: la trajectoire de baisses de taux de la Réserve fédérale américaine (Fed), puisque des taux plus bas pourraient encourager les achats de voitures.
Robert Minter, chez Abrdn, émet toutefois quelques réserves: les barres physiques de platine peuvent être plus difficiles à vendre que les ETF. Les investisseurs peuvent facilement perdre 10% de la valeur du métal en le vendant à un négociant spécialisé, prévient-il, parce que ce dernier prend beaucoup de risques en achetant auprès d'investisseurs particuliers. "Les investisseurs effectuent un énorme travail de recherche lorsqu'ils achètent un produit du type ETF, mais ils ne regardent pas le coût lié à la vente de cette barre de platine par Costco", explique-t-il.
Le platine a certes tout d'une belle matière première à mettre dans son panier mais, dans ce cas très rare, Costco ne propose sans doute pas le meilleur deal.
-Jinjoo Lee, The Wall Street Journal
(Version française Emilie Palvadeau) ed: JDO
Agefi-Dow Jones The financial newswire
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