
Vector Automotive, la solution de coupe du tissu Industrie de Lectra. (crédit : Lectra)
L'intelligence artificielle générative est sans aucun doute une révolution (pour peu qu'elle ne coûte pas trop cher en électricité), mais mis à part le fait qu'elle enrichit avant tout un seul fabricant de puces et quelques prestataires de services Cloud que tout le monde connaît bien, elle n'a pas encore bouleversé totalement nos vies de citoyen consommateur, il faut le dire.
Ceci étant, c'est vraisemblablement ailleurs qu'elle devrait rendre les plus grands services, comme le faisait remarquer récemment un des dirigeants de Siemens AG (qui peut de fait en parler) : selon lui (je cite) avec une IA capable de comprendre le langage industriel, comme les données 3D, les dessins techniques et ainsi de suite, une IA plus accessible et moins énergivore aussi, des copilotes qui amélioreront l'interaction homme-machine en langage naturel et contribueront à résoudre la pénurie de main d'œuvre, etc… et surtout l'utilisation des données de production, qui sont complètement sous exploitées à l'heure actuelle, comme manuel d'apprentissage, l'industrie européenne connaîtra un super gain de productivité, et redeviendra vraiment compétitive. Et le patron de Dassault Systèmes (qui peut en parler aussi) dit à peu près la même chose pour nous vendre 3DUniverses, la mouture AI de son produit phare 3DExperience.
C'est donc dans l'air du temps, d'autant que ça peut se faire avec les capacités que l'on a déjà en Europe dans ce domaine avec des gens comme Mistral AI. Et, de plus, ça nous change bien du discours permanent sur la suprématie américaine, lequel devient lassant à la longue.
D'autant que des sociétés européennes n'ont pas attendu cela pour s'y mettre. Comme, par exemple, Lectra, belle ETI cotée à Paris qui a bien pris le virage depuis un certain temps déjà.
Des machines de découpe…
Basé à Cestas, près de Bordeaux, Lectra est un constructeur de machines de découpe pour le textile (gammes Vector, Paragon) et le cuir (gammes Versalis) avec un chiffre d'affaires 2024 de 527 millions d'euros et 3 000 collaborateurs environ. La société adresse trois grands marchés globalisés : la mode/habillement (50% chiffre d'affaires), l'automobile (sièges et intérieurs de véhicules, airbags ; 32% CA), et l'ameublement (9% CA) ainsi qu'une grande variété d'autres industries (l'aéronautique, l'industrie nautique, l'éolien...). Plus de 90% du chiffre d'affaires est réalisé à l'international, dont 41% en Europe, 36% dans les Amériques et 23% en Asie. La société réalise l'assemblage final de ses machines à Cestas en France, à Tolland aux USA, et depuis peu, c'est à dire depuis fin 2023, à Suzhou, près de Shanghai.
… et de plus en plus de digital…
Lectra ne vend pas que des machines, loin s'en faut, et a pris depuis longtemps le virage du digital pour fournir à ses clients des solutions industrielles intelligentes bref, de l'Industrie 4.0. Une évolution qui s'est accélérée avec l'acquisition d'un grand concurrent américain : Gerber Technology en juin 2021, et n'a fait que croître et embellir depuis, avec d'autres acquisitions comme TextileGenesis en janvier 2023, une société hollandaise et une plateforme SaaS qui permet aux confectionneurs et aux fabricants de textile de garantir la traçabilité de leurs matières premières. Et aussi et surtout Launchmetrics en janvier 2024, société américaine qui a créé une plateforme BtoB de marketing digital pour les acteurs de la mode.
Tout ça pour que Lectra propose à ses clients des solutions de "salle de coupe étendue 4.0" interconnectée, avec, à titre d'exemple, pour la clientèle Fashion, un logiciel collaboratif de PLM : Kubix Link, un logiciel de création 2D/3D : Gerber AccuMark, la plate-forme Valia Fashion qui intègre de l'IA et gère tout le processus de production des commandes jusqu'à la découpe, Virga Fashion pour produire à la demande, et enfin les machines Paragon, Vector et Atria aux découpes ultra précises et ultra rapides.
… et aussi de plus en plus de chiffre d'affaires récurrent, ce qui n'est pas plus mal
Ce qui fait que Lectra vend de plus en plus ses logiciels par abonnements en mode SaaS, et vend aussi beaucoup de services à ses clients : maintenance des machines et formations et conseil, et, bien entendu, vit en partie sur une base installée qui génère une demande de consommables et de rechanges. Ce qui fait aussi que, selon son dirigeant fondateur, plus des 2/3 de l'activité est quasi récurrente. Ce qui n'est pas plus mal quand on sert des secteurs économiques plutôt cycliques.
Tout ceci n'étant possible que grâce à une forte présence des personnels de la société, soit en 2023 plus de 800 personnes, auprès des clients, dans 100 pays du monde et dans des centres d'appel. Ce qui est d'autant plus possible que, comme chacun sait, le logiciel dégage une bonne marge brute (: les ventes moins ce qu'on paie tout de suite pour les réaliser, la marge sur coût variable, en quelques sortes) dans la plupart des cas, ce qui permet sans aucun doute d'absorber beaucoup de coûts fixes de personnel.
De bonnes marges, ce qui ne gâte rien
Pour peu que l'on réintègre dans le résultat opérationnel les amortissements des actifs incorporels résultant des acquisitions, soit des amortissements récurrents mais qui n'existent que dans les comptes consolidés pour le bon plaisir des normes IFRS et sont quelque chose d'assez vaporeux en fait, on ne peut que constater que Lectra dégage une bonne profitabilité. Soit une marge opérationnelle (le rapport entre le résultat opérationnel, qui est le fameux Ebitda de la finance moderne diminué des vrais amortissements, et le chiffre d'affaires) de 13,7% sur le dernier exercice. Ce qui est plutôt correct en valeur absolue pour un constructeur de biens d'équipements, et s'explique bien par la marge brute élevée évoquée plus haut, soit 71,6% sur l'année 2024.
Une année un peu mi-figue mi-raisin en termes d'activité cependant : si le chiffre d'affaires progresse de +10%, c'est en bonne partie grâce à l'apport de Launchmetrics acquis en janvier. Parce que les marchés de la société ne sont pas vraiment dynamiques en ce moment, notamment dans la mode, où les marques d'habillement ont trop de stocks semble-t-il et ne commandent pas trop à leurs sous-traitants face à un consommateur hésitant, et des coûts de transport toujours élevés, en plus de l'irruption des Temu et autres concurrents chinois sauvages en ligne. Tout comme dans l'automobile où, comme chacun sait, la fête est finie et les volumes de production stagnent, sans parler de l'ameublement, qui souffre quant à lui d'un marché immobilier qui fonctionne au ralenti.
Mais on notera cependant que si le chiffre d'affaires lié aux ventes de nouveaux systèmes est en baisse de -5%, le chiffre d'affaires récurrent progresse de +18% avec des ventes de logiciels en mode SaaS multipliée par 2,5x sur un an selon la direction. Et que, comme d'autres "vendors" de logiciels, Lectra a réussi sa mue des licences vers l'abonnement, ce qui est incontestablement bon pour la suite.
Et un bon bilan, même après les "earn-out"
Dans ses résultats préliminaires 2024 publiés très récemment, la direction de la société fait aussi état de la solidité du bilan du groupe, qui affiche de fait un ratio d'endettement net/Fonds Propres faible, soit 6% a priori, et une situation de trésorerie nette très largement positive, soit +82 millions d'euros environ, et ce malgré la grosse acquisition de Launchmetrics au premier semestre. On peut toutefois remarquer que cet endettement net ne contient pas les engagements de rachat des parts des minoritaires dans les acquisitions récentes. Alors que Lectra a pris 50,2% du capital de Launchmetrics pour 77 millions d'euros environ, mais qu'il reste à racheter graduellement le reste des actions jusqu'en 2030, et débourser encore quelque chose comme 125 millions d'euros. Une somme qui est inscrite au passif du bilan, mais pas en dette financière (n'en déplaise aux puristes).
Et que, de même, Lectra n'a pris le contrôle de TextileGenesis qu'en payant 50,5% du capital, ce qui fait qu'il reste encore 45,4 millions d'euros à payer.
Ce qui n'a a priori rien de trop pénalisant : si l'on rajoute ces "earn-outs"/engagements d'achats comptés dans le bilan à fin 2024 à la dette financière, le ratio endettement net/Fonds Propres passe de 6% à 36%, et reste donc relativement bénin, toutes choses étant égales par ailleurs.
Rien de grave, donc, mais autant de petits "downsides" qui pèsent éventuellement sur le cours du titre, lequel ne fait pas grand-chose depuis le début de l'année, après avoir sous-performé en 2024. Ce qui pourrait être mieux, puisque Lectra est en principe une darling que tous les gérants midcaps de la place sont censé avoir en portefeuille.
Mais nous ne perdons vraisemblablement rien pour attendre : la révolution AI est en marche, et rien ne peut l'arrêter, c'est bien connu.
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