par Tassilo Hummel et Mimosa Spencer
Les groupes de luxe européens entendent répercuter les éventuelles surtaxes douanières, que le président américain Donald Trump imposera, sur les prix de leurs produits mais certaines marques pourraient avoir des difficultés à les augmenter, d'après des analystes.
De célèbres marques comme Louis Vuitton, détenue par LVMH
LVMH.PA , ou Gucci, propriété de Kering PRTP.PA , comptent sur le dynamisme du marché américain pour compenser la morosité économique en Chine.
Or, Donald Trump a menacé l'Union européenne (UE) de nouveaux droits de douanes, ce qui pourrait déclencher un ralentissement économique mondial, selon certains économistes.
Les dirigeants des groupes de luxe Hermès HRMS.PA et Kering ont déclaré la semaine dernière qu'ils pourraient tirer parti de leur image de marque pour absorber de potentielles taxes douanières supplémentaires.
"Nous augmenterons nos prix en conséquence", a déclaré vendredi le gérant d'Hermès, Axel Dumas, lors de la présentation des résultats annuels du groupe.
Le PDG de Kering, François-Henri Pinault, a indiqué de manière similaire que ses marques - dont font partie Gucci, Balenciaga et Yves Saint Laurent - "réexamineraient leur stratégie de prix" en cas de tarifs douaniers.
"Nous savons comment y parvenir", a-t-il déclaré.
PRIX EN HAUSSE
Répercuter ainsi la hausse des droits de douanes pourrait toutefois s'avérer difficile car certaines marques ont déjà augmenté leurs prix de façon agressive ces dernières années, selon des analystes d'UBS, Citi ou encore Bernstein.
Le prix du classique sac à rabat matelassé de Chanel a par exemple plus que triplé depuis 2010, tandis que ceux du Lady Dior et du sac de voyage Keepall de Louis Vuitton ont plus que doublé, selon UBS.
Cette stratégie n'a pas forcément aidé certaines maisons.
Kering a ainsi enregistré une baisse de 12% de ses ventes au quatrième trimestre, pénalisées par un recul de 24% chez sa griffe phare Gucci.
"Nous avons beaucoup parlé de "cupidité-flation" ('greedflation') au cours des 12 derniers mois, l'idée que l'on est allé trop loin, trop haut, trop vite. Et qu'au bout du compte, on s'est coupé de ce client aspirationnel ('aspirational consumer')", a déclaré Erwan Rambourg, analyste chez HSBC.
PRUDENCE
Une hausse irait par ailleurs à l'encontre de la prudence actuelle en matière de prix, notamment sur le marché américain.
Dior, par exemple, a stabilisé ses prix aux États-Unis l'année dernière, tandis que Louis Vuitton les a augmentés d'un peu plus de 2%, selon les données de la société Data&Data, basée à Paris, qui surveille les prix des marques en ligne.
Chanel a quant à lui augmenté ses prix de 5,4%, une hausse modérée par rapport aux années précédentes, tandis que les joailliers Tiffany (LVMH LVMH.PA ), Cartier et Van Cleef & Arpels (tous deux propriétés de Richemont CFR.S ), ont aussi ralenti leurs augmentations aux États-Unis, entre 4 et 6%, contre plus de 8% l'année précédente, selon des données partagées avec Reuters.
"Je pense que la marge de manœuvre des grandes marques en termes de hausse des prix aux Etats-Unis sera assez limitée en 2025", a déclaré Zouheir Guedri, PDG de Data&data. "Cela risquerait d’accentuer les différences de prix entre les différentes régions et de mettre en péril les efforts coûteux entrepris depuis des années pour harmoniser les prix à l’échelle mondiale."
Les analystes de Morningstar ont déclaré dans une note récente qu'"un droit de douane de 10 à 20% sur les produits de luxe européens pourrait faire baisser les ventes de luxe aux États-Unis, en particulier pour des entreprises comme Burberry et Kering qui se concentrent davantage sur une clientèle aisée et ambitieuse plutôt que sur les clients ultra-riches".
INCERTITUDES
Alors que la demande chinoise reste modérée, les marques européennes comptent sur les clients américains, qui seront probablement les plus gros dépensiers du secteur en 2025, stimulés par la vigueur des marchés boursiers et des crypto-monnaies.
D'après UBS, les ventes aux Etats-Unis, tirées par un dollar fort, devraient croître davantage cette année, à un rythme de 6%, tandis que les ventes aux Chinois devraient baisser de 1%.
Mais plusieurs incertitudes demeurent pour l'industrie du luxe.
Le moral des consommateurs américains a chuté de manière inattendue en février, à son plus bas niveau depuis sept mois. Les anticipations d'inflation ont grimpé en flèche, les ménages craignant de payer le prix des politiques commerciales de Trump.
Les analystes de Citi ont noté que les habitudes des clients dits aspirationnels - ceux qui achètent des produits de luxe dans l'idée d'atteindre un statut social plus élevé - restent instables.
TERRE DE CONQUÊTE
Le gérant d'Hermès, Axel Dumas, a déclaré la semaine dernière qu'il considérait toujours les États-Unis comme une "terre de conquête" pour générer de la croissance. Il a rappelé l'expansion du commerce de détail de son groupe dans des villes secondaires, avec des ouvertures de magasin prévues à Phoenix (Arizona) et Nashville (Tennessee).
LVMH a laissé entendre qu'il pourrait encore augmenter sa production dans le pays. Le PDG du géant mondial du luxe Bernard Arnault et sa famille ont cultivé des liens personnels avec Donald Trump, quatre d'entre eux ayant assisté à l'investiture du président le mois dernier.
"Nous pensons que le groupe se positionne pour pouvoir négocier avec l'administration américaine sur d'éventuels tarifs douaniers en proposant de produire davantage aux Etats-Unis, comme c'est déjà le cas pour Louis Vuitton et pourrait facilement être fait pour d'autres marques", ont déclaré les analystes de HSBC.
Interrogé sur les efforts de lobbying de Bernard Arnault aux Etats-Unis, le PDG de son concurrent Kering, François-Xavier Pinault, a déclaré à Reuters en marge des résultats annuels de Kering qu'il s'agissait d'une bonne chose si cela aidait le secteur européen du luxe à éviter des droits de douane supplémentaires.
Dans la lignée de remarques formulées par d'autres dirigeants européens du secteur du luxe, François-Xavier Pinault a toutefois exclu tout transfert de production vers le pays, affirmant qu'un tel mouvement, susceptible de diluer l'image "made in Europe" de son groupe, n'aurait pas de sens.
(Reportage Tassilo Hummel, version française Florence Loève, édité par Kate Entringer)
0 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer