« J’avais l’impression d’avoir cent ans. » Quelques jours après s’être fait vacciner contre le chikungunya par son généraliste en vue d’un prochain déplacement professionnel à La Réunion, Stéphane, 52 ans, s’est retrouvé en prise avec un syndrome grippal bien cogné. « Des maux de tête, de la toux, des courbatures et une nuit passée à grelotter et être en nage au point de devoir changer de T-shirt, rembobine le quinquagénaire sportif qui vit dans les Hauts-de-Seine. J’ai pensé que c’était la grippe, mais l’autotest que j’ai acheté à la pharmacie a été négatif. »
Un effet secondaire de sa vaccination ? « J’avoue ne pas y avoir pensé sur le coup car je me suis dit que j’avais attrapé le virus que traînait mon fils depuis quelques jours », raconte le père de famille. Depuis remis sur pied avec du paracétamol et quelques jours de télétravail, il est quand même un peu interloqué d’apprendre que les autorités sanitaires viennent, ce samedi, de suspendre la recommandation de vaccination pour les plus de 65 ans après l’identification d’effets secondaires graves.
Dans le cas de Stéphane, on ne saura jamais si cet épisode désagréable est lié à l’injection du Ixchiq, le premier vaccin contre le chikungunya mis sur le marché européen depuis juin 2024, ou au simple fait du hasard. Mais il est vrai qu’à l’instar du vaccin contre la grippe, celui-ci présente des effets indésirables très largement bénins et disparaissant spontanément en quelques jours mais qui sont aussi relativement fréquents. Maux de tête, sensation de malaise, nausées, fatigue, douleurs musculaires, douleurs articulaires, fièvre peuvent affecter plus d’une personne sur dix, selon l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM).
Événements indésirables graves
« C’est un produit sur lequel les études de sécurité et d’efficacité sont bonnes », nous indiquait encore fin mars le docteur Rodolphe Manaquin, chef du pôle infectiologie et immunologie du CHU de La Réunion, alors que l’épidémie commençait à flamber. « C’est un vaccin très efficace, qui ne nécessite qu’une seule dose et offre une protection à vie », rappelait également Adrien Dereix, le directeur médical du centre de vaccination internationale Elsan dans le Xe arrondissement de Paris, qui vient de suspendre temporairement la vaccination contre le chikungunya.
Que s’est-il passé depuis ? Mercredi, le ministère de la Santé a été informé par l’ANSM de la survenue de plusieurs « événements indésirables graves » à la suite de vaccinations à La Réunion dont un décès, a-t-on appris ce samedi matin. En toute urgence, la Direction générale de la santé (DGS) a saisi, dès jeudi, la Haute Autorité de santé (HAS) pour réévaluer les recommandations de la vaccination. Dès le lendemain, celle-ci s’est prononcée en faveur d’une révision de la cible. Et donc « conformément à cet avis », les autorités sanitaires ont décidé d’arrêter sans délai la vaccination des plus de 65 ans en attendant de mieux comprendre.
« Une forme grave de chikungunya »
En effet, les trois premiers événements sont survenus chez des personnes de plus de 80 ans et qui avaient déjà, par ailleurs, d’autres maladies graves. L’une d’elles est décédée.
Newsletter Carnet de Santé
La médecine qui vous concerne
S'inscrire à la newsletterToutes les newsletters
« Nous sommes dans le cadre d’un nouveau vaccin, il y a donc un dispositif de pharmacovigilance renforcé qui a été mis en place, a expliqué samedi soir Gérard Cotellon, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) sur le plateau du journal télévisé de Réunion la 1re. Cela veut dire qu’on a demandé aux professionnels de santé de faire remonter tous les effets indésirables inattendus, tous les signes d’inconfort et de douleur qui peuvent apparaître chez un patient. Ces trois patients ont développé des symptômes d’une forme grave de chikungunya. »
Lien de causalité « très vraisemblable »
C’est précisément pour cette raison que le centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux (CRPV) en charge des Outre-mer en lien avec l’ANSM, a estimé que le lien de causalité avec le vaccin « semble très vraisemblable, considérant les symptômes et leur délai d’apparition après la vaccination ». Par ailleurs, des analyses biologiques ont été réalisées pour permettre « de déterminer si la souche du virus correspond à celle utilisée pour le vaccin ou bien celle qui est responsable de l’épidémie actuelle », a précisé le ministère au Parisien.
Actuellement, des investigations sont par ailleurs en cours pour deux autres cas à La Réunion, sortis d’hospitalisation et dont l’imputabilité de la vaccination doit encore être évaluée, et un cas en métropole dans le cadre d’une vaccination du voyageur, avec une « imputabilité plausible ».
« Nous sommes allés très vite dans l’analyse des données et des signes qui remontent, a défendu le patron de l’ARS. Nous avons eu une réaction normale, c’est-à-dire de comprendre ce qui s’est passé pour ces personnes pour protéger mieux encore la population. Cela signifie que notre système de vigilance marche. Nous sommes dans un principe de précaution, mais je ne remets pas en cause le vaccin. »
Celui-ci reste recommandé pour les personnes entre 18 et 64 ans présentant des comorbidités même s’il n’a guère fait recette dans le département ultramarin.
L’épidémie a déjà fait neuf morts
À peine 3 000 Réunionnais se sont fait vacciner en trois semaines, alors que 40 00 doses sont arrivées sur l’île et 60 000 supplémentaires ont été achetées. En début de semaine, en visite sur l’île avec le président de la République, le ministre de la Santé avait appelé la population à se faire vacciner. « Même pour les personnes qui sont prises en charge à 100 %, on voit qu’il n’y a pas assez d’adhésions, donc je renouvelle mon appel à la mobilisation », avait déclaré Yannick Neuder.
À la suite de ces annonces, la sénatrice Audrey Bélim (PS) a réclamé une commission d’enquête parlementaire pour « faire la lumière sur les raisons de la grave erreur portant sur la vaccination des plus de 65 ans » et sur les « défaillances » de l’ARS dans la gestion de l’épidémie. Le bilan provisoire de l’épidémie de chikungunya à La Réunion est déjà de neuf morts, dont un nourrisson, selon les autorités sanitaires qui soulignent que l’épidémie se « stabilise à un haut niveau », selon des chiffres donnés mercredi.
Du 7 au 13 avril, la dernière semaine pour laquelle les données sont connues, 350 passages aux urgences ont été enregistrés contre 289 la semaine précédente, soit une hausse de 21 %. Le nombre de cas confirmés comptabilisés sur la même période est lui en baisse, de 6 237 à 4 304, mais Santé publique France précise que ce nombre n’est pas consolidé et qu’il pourrait donc s’avérer plus élevé.