PARIS, 23 novembre (Reuters) - Alors que les négociations entre syndicats et patronat patinent, la France renforce son image de mauvais élève en Europe sur le télétravail, qui a explosé avec la pandémie de COVID-19.
Patronats et syndicats doivent se réunir lundi pour une dernière réunion de négociations dans le but de définir un cadre mieux à même de protéger les salariés travaillant de chez eux. Mais l'espoir d'aboutir est faible, au regard des nombreux points de désaccords entre les deux camps.
"C’est triste de voir un niveau aussi faible de dialogue social en France", quand on regarde ce qui se négocie en Europe sur ce dossier, estime Jean-Luc Molins, négociateur pour la CGT.
La pratique du télétravail a explosé en Europe avec la crise sanitaire, les gouvernements incitant les entreprises à privilégier ce mode de fonctionnement pour limiter les interactions sociales et freiner la propagation du coronavirus. Selon une étude européenne réalisée en juin et juillet, près de 40% de l'ensemble des heures travaillées l'ont été à domicile durant la pandémie.
Pris au dépourvu par cette crise, certains pays européens n'ont pas tardé à modifier leur législation pour protéger davantage les salariés, dont une grande partie a pris goût à cette nouvelle façon de travailler.
En Espagne, les entreprises doivent depuis septembre établir un contrat individuel avec chaque salarié en télétravail lorsqu'il se trouve à la maison plus d'une journée et demie par semaine, et spécifier, entre autres, les horaires de travail, les moyens mis à disposition et la forme de compensation des frais générés par l'exercice de l'activité.
Au Portugal, des droits pour les télétravailleurs ont été actés dès 2015. Tous les frais générés par l'activité professionnelle sont à la charge de l'employeur, connexion internet comprise. Et le télétravail ne peut pas être refusé dans certains cas, pour un salarié avec un enfant de moins de trois ans, par exemple, dit la CGT.
DEUX TIERS DE TELETRAVAILLEURS "GRIS"
En France, seul un tiers des télétravailleurs bénéficie d'un cadre réglementaire - un accord collectif ou une charte d'entreprise - dans lequel sont spécifiées quelques modalités, comme les plages horaires durant lesquelles le salarié peut être contacté ou encore les conditions de contrôle du temps de travail. Pour les deux tiers restants, un simple accord verbal avec l'employeur prévaut, sans cadre défini. C'est le télétravail dit "gris".
"Tant qu'il n'y a pas de problème, ça va", dit Jean-Luc Molins. "Mais s'il y a un différend sur un des sujets, le salarié n'est pas forcément protégé."
Pour Catherine Pinchaut, secrétaire nationale pour la CFDT, l'idée d'encadrer le télétravail n'est pas "de rigidifier les affaires mais de sécuriser le salarié et l’employeur aussi".
Or le patronat se refuse pour l'instant à négocier un accord "normatif", qui modifierait les dispositions légales actuelles. Il souhaite même revoir certaines règles, comme la notion de responsabilité en cas d'accident pendant le travail.
Pour Eric Chevée, négociateur pour la CPME, les textes existants sont "parfaitement clairs, compréhensibles et opérationnels pour les salariés et les entreprises". Il n'est donc pas nécessaire de revenir dessus, selon ce représentant des petites et moyennes entreprises.
Cette négociation doit avant tout servir à définir un cadre réglementaire en cas de situation exceptionnelle, comme la pandémie, car "beaucoup d'entreprises, qui n'avaient pas anticipé le télétravail, ne savent pas faire", dit-il.
MÉFIANCE MANAGÉRIALE
De manière générale, la pratique du télétravail a du mal à s'implanter chez les managers français, craintifs à l'idée de perdre le contrôle de leurs équipes.
Après le premier confinement, les entreprises françaises ont par exemple massivement demandé à leurs salariés pouvant télétravailler de revenir sur site.
La proportion de salariés en télétravail est tombée à 15% début août (elle était à 27% pendant le premier confinement), contre 29% en Grande-Bretagne (35% pendant le confinement), selon un sondage Yougov réalisé pour la société Cardiosens.
Autre exemple de cette défiance vis-à-vis du télétravail : le grand nombre d'entreprises qui ont refusé le télétravail à 100% comme l'exigeait le gouvernement fin octobre pour contrer la résurgence de l'épidémie.
Reuters a reçu de nombreux témoignages de salariés à qui l'on avait refusé le télétravail à temps plein alors qu'ils avaient pu le pratiquer lors du premier confinement. Parmi les entreprises mises en cause, figurent des PME mais aussi de grandes entreprises, dont certaines ont été nommément pointées du doigt par la ministre du Travail, Elisabeth Borne.
Selon un sondage Harris Interactive, réalisé pour le ministère du Travail, 27% des salariés ont indiqué être allés sur leur lieu de travail entre le 2 et le 8 novembre alors que leurs tâches auraient pu, selon eux, être réalisées à domicile.
Si les négociations échouent au niveau interprofessionnel, le gouvernement pourrait reprendre le dossier en main. Une perspective qui ne déplaît pas à certains syndicats de salariés.
"On veut que le gouvernement s’implique pour qu’il y ait des discussions normatives", dit Fabrice Angéï de la CGT. "Cela rentre dans le jeu de la préservation de l’intérêt général."
(Caroline Pailliez, édité par Bertrand Boucey)
1 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer