(NEWSManagers.com) - Nombreux sont les salariés de la gestion d'actifs à détenir directement ou indirectement des parts du capital de la société de gestion de portefeuille pour laquelle ils travaillent. En conséquence de quoi, ils se voient verser des dividendes plus ou moins élevés en fonction des performances de leur entreprise qui dépendent aussi de celles de leurs fonds.
Or, cette pratique se trouve au cœur d'une affaire hongroise traitée actuellement par la cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Le cas soulève notamment le sujet de l'utilisation d'un versement de dividendes à titre d'actionnaire pour contourner la législation européenne en matière de politique de rémunération dans le secteur financier.
Jusqu'ici, des directives européennes de 2009 et 2011 imposent au secteur des fonds de définir et d'appliquer des politiques de rémunération " qui promeuvent une gestion saine et efficace des risques et n'encouragent pas la prise de risques incompatibles avec le profil de risque, le règlement ou les documents constitutifs des fonds d'investissement concernés. " Mais qu'une société de gestion verse des dividendes à titre d'actionnaire aux gérants de ses fonds d'investissement peut potentiellement inciter ceux-ci à prendre des risques similaires à ceux que peuvent inciter des éléments de rémunération variable pour faire monter les performances des fonds et donc de l'entreprise.
Danger sur la gestion saine des risques
En 2019, la Banque nationale de Hongrie (MNB) qui fait aussi office d'autorité locale de surveillance des marchés financiers, s'est ainsi penchée sur le versement de dividendes à ses salariés actionnaires – directs ou indirects – d'une petite société de gestion du pays. Le gestionnaire avait distribué des dividendes d'un montant total de 661 millions de forints hongrois (1,8 million d'euros) en 2016 et de 110 millions de forints hongrois (environ 300.000 euros) en 2017. Les versements aux salariés actionnaires, déclarés comme rémunération, s'élevaient, eux, à 17 et 10 millions de forints hongrois (46.000 et 27.000 euros) respectivement en 2016 et en 2017.
Pour la MNB, surprise d'un écart flagrant entre les montants de dividendes et de rémunération versés, " ces versements de dividendes font partie d'une politique de rémunération susceptible de contrecarrer une gestion saine des risques " . L'autorité soutient que l'intérêt des gestionnaires de fonds, présents au capital de la société, à se faire distribuer des dividendes aussi élevés que possible " pourrait les inciter à prendre à court terme, dans leurs décisions d'investissement, des risques trop élevés, qui, à long terme, pourraient avoir des effets préjudiciables aux investisseurs des fonds gérés " . Elle estime qu'en conséquence les règles en matière de rémunérations dépendant des performances sont contournées. En plus de lui infliger une amende, le régulateur a exigé du gestionnaire qu'il adapte dans un délai de 90 jours sa politique de rémunération aux exigences de la réglementation locale en matière de surveillance.
La société de gestion a contesté cette décision devant la justice hongroise, estimant qu'il serait contraire au principe d'égalité de traitement des actionnaires de soumettre la perception de dividendes par les salariés concernés aux règles de rémunération. Le gestionnaire a rejeté l'idée d'une incitation à réaliser des bénéfices à court terme, arguant que les salariés actionnaires, en tant qu'actionnaires majoritaires, auraient plutôt intérêt à ce que la société obtienne les meilleurs résultats possibles sur le long terme.
Après une défaite en première instance, la société de gestion s'est tournée vers la cour suprême locale qui a saisi la CJUE d'une demande de décision préjudicielle sur ce dossier.
Manque de définition de la rémunération
L'avocate générale de la CJUE, Juliane Kokott, a publié ses conclusions générales sur le dossier en date du 16 décembre. Pour elle, le cas soulève la question de savoir à partir de quand une participation aux bénéfices dans une société de gestion de fonds peut conduire à ce que des gérants de fonds soient incités à prendre des risques similaires à ceux auxquels peuvent inciter certains éléments de rémunération variables.
La magistrate pointe une faille dans les directives européennes de 2009 et 2011. Elles ne contiennent aucune définition légale de la notion de rémunération. Selon ses conclusions, le versement de dividendes ne semble pas entrer dans le champ de la politique de rémunération. Cependant, l'avocate générale de la CJUE indique que le versement de dividendes à des cadres d'une société de gestion de fonds qui détiennent simultanément une participation directe ou indirecte dans celle-ci doit respecter les dispositions relatives à de bonnes politiques de rémunération, lorsque ce versement peut conduire, par son effet, à un contournement de ces dispositions.
Sur la question du contournement de la politique de rémunération, Juliane Kokott estime qu'il convient d'examiner en premier lieu " si la distribution de dividendes par la société de gestion dépend de l'évolution de la valeur des fonds d'investissements gérés à un point tel que cela crée, au final, des incitations de comportement semblables à celles créées par une rémunération variable ou à une rémunération dépendant des performances " .
" Dans un tel cas, il existe un contournement lorsque la participation de la société de gestion aux bénéfices des fonds gérés serait elle-même contraire aux règles de rémunération. Tel est le cas lorsque la configuration concrète de cette participation favorise la prise de risques excessifs. Il en va de même lorsqu'il n'existe pas de mécanismes permettant d'établir un équilibre approprié des intérêts entre les incitations créées et les intérêts à plus long terme de la société de gestion, des fonds qu'elle gère et des investisseurs de ceux-ci " , conclut l'avocate générale.
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