Nommé PDG d’Atos le 1er février, cet ingénieur audacieux se donne deux ans pour sortir des enfers l’ex-champion français du numérique. Avant un plan en mai, il a lancé des premières mesures. Rencontre.
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Gilles Fontaine
Régis Soubrouillard
16 avril 2025 à 18h00
LECTURE 6 MIN
Dans son entourage, personne n’a compris pourquoi il avait accepté de prendre ce job. Certains ont même cru qu’il avait perdu la raison : nommé président d’Atos en octobre, Philippe Salle en est devenu PDG le 1er février. Mais quelle mouche a donc piqué ce patron pour aller prendre les commandes d’un navire en perdition, menacé depuis des années de dépeçage et matraqué sur les marchés ? Le goût du danger, répond-il ce 9 avril à Challenges, sous l’œil inquiet de ses communicants. « J’ai toujours pris beaucoup de risques dans ma carrière. »
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PDG du groupe de services immobiliers résidentiels Emeria (ex-Foncia) depuis 2017, il assure qu’il n’était pas demandeur, qu’il n’avait « rien à prouver ». Sauf à lui-même, peut-être. Un cabinet de chasseurs de têtes est venu le chercher. Et il a tout de suite vu « le très beau challenge », quand certains prédisent encore que la société sera en cessation de paiements dans les prochains mois. Mais pour lui, le groupe de services numériques demeure un fleuron : « Toute situation est rattrapable dans toutes les entreprises du monde. »
Un « amoureux de la technologie »
Certes, le flux de trésorerie disponible reste négatif, à 2,2 milliards d’euros, mais Philippe Salle assure que l’état des liquidités met le groupe à l’abri du danger immédiat : 1,8 milliard d’euros de cash, auxquels s’ajoutent 450 millions de crédit revolving. De quoi lui permettre de mener, sur deux ans, la transformation d’Atos pour le sortir des enfers, plan dont il annoncera les grandes lignes le 14 mai. Il y a urgence : son carnet de commandes est passé de 22 milliards d’euros en 2023 à 13 milliards l’an passé.
En réalité, assure-t-il, Atos n’était plus géré depuis longtemps : « Je n’ai jamais compris comment une entreprise pouvait afficher un résultat positif et ne pas dégager de cash. » Il pilote les finances au plus serré, vérifie chaque soir les positions de tous les comptes bancaires de la société. « Il y a un capitaine dans le bateau », martèle celui qui succède à Jean-Pierre Mustier.
A 59 ans, il met en avant ses 26 années d’expérience de PDG et sa connaissance du monde du private equity, qu’il côtoie depuis 2007. Un profil financier doublé de celui d’un ingénieur, rappelle l’ancien PDG de la société de conseil en ingénierie Altran, passé par Accenture et diplômé de l’Ecole des Mines. Un « amoureux de la technologie » qui a commencé à coder à l’âge de 15 ans sur un ordinateur Thomson TO7 et continue d’écrire des programmes à ses heures perdues.
Son projet attire les talents
Le temps manque un peu ces derniers mois à celui qui reconnaît qu’il « dort Atos, mange Atos et boit Atos 7 jours sur 7 » depuis son arrivée. Dans son rapport d’étonnement, Philippe Salle souligne deux bonnes surprises. Tout d’abord, les équipes n’ont pas fui le bateau, comme cela avait été dit. « Les gens sont très attachés à leur entreprise », estime-t-il.
Mieux encore, son projet attire les talents. L’intéressé n’est pas peu fier d’être parvenu à faire venir le patron de la cybersécurité de Thalès, Pierre-Yves Jolivet, pour le nommer directeur général d’Eviden, qui regroupe les cyberactivités du groupe, dans un contexte où les tentatives de débauchage allaient plutôt dans l’autre sens… Philippe Salle a aussi convaincu l’Américain Michael Kollar, un ancien de la maison parti en 2022, de prendre la direction de l’activité infrastructure cloud.
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« Une société internationale, locale et globale »
Deuxième bonne nouvelle, la base de clients est restée très solide observe le PDG, après avoir fait son tour du monde, de Londres à Singapour via New Delhi, pour en visiter les vingt principaux. Bientôt, il se rendra en Allemagne, mais il n’a pas attendu pour s’entretenir longuement au téléphone avec Roland Busch, patron de Siemens, l’un des tout premiers clients, mais aussi partenaire depuis le rachat par Atos, en 2011, de son activité de services numériques. « Une opération énorme, mais indispensable, juge Philippe Salle. Dans cette industrie, la taille est très importante. » Il est impossible, selon lui, de jouer dans la Ligue des champions des services numériques pour une société qui ne dégage pas 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La taille permet de décrocher des contrats mondiaux avec des acteurs mondiaux.
Voilà pourquoi la scission d’Atos en deux entités, défendue par certains de ses prédécesseurs, n’est plus du tout à l’ordre du jour de celui qui définit ainsi la vocation de l’entreprise : « une société internationale, locale et globale, de services informatiques, qui vend aussi du logiciel et du matériel ». Sur ce dernier point, Philippe Salle va toutefois devoir en rabattre sur ses ambitions, puisque le gouvernement a décidé de mettre la main sur l’activité supercalculateurs, stratégique, via l’Agence des participations de l’Etat. Les discussions sont en cours, sur la base d’une valorisation autour de 625 millions d’euros, et devraient aboutir d’ici à la fin mai.
« Un ancrage européen »
Pour le prestige, Philippe Salle aurait bien conservé dans son périmètre la fabrication de ces machines exascale (puissance massive), vendues autour de 300 millions d’euros pièce. Mais l’activité, dépendante des commandes publiques, est trop erratique, et le patron d’Atos a conscience de ne pas pouvoir lutter à armes égales avec ses concurrents, Lenovo en Chine et HP aux Etats-Unis, deux pays où sont exclus les produits du constructeur français. Il ne se voit pas non plus se lancer dans un bras de fer avec l’Etat. Adieu, donc, les supercalculateurs, bras armé des nouveaux développements en intelligence artificielle.
Cela ne l’empêche pas de vouloir jouer un rôle majeur dans le déploiement de ces technologies de rupture chez ses clients. Il vient de nommer un vice-président chargé de l’IA, qu’il veut utiliser au sein de ses six lignes de business, et pour les besoins internes, afin de « dégager des économies d’échelle et d’aller beaucoup plus vite sur certains sujets ».
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C’est l’une de ses obsessions : simplifier l’organisation de l’entreprise qu’il reconnaît être d’une complexité jamais vue auparavant. Il a déjà réduit le Top-500 du management à un Top-200, supprimé les 15 postes de chef de cabinet – « tout le monde en avait » – et prévoit de se débarrasser des derniers consultants durant l’été. Plus tard, il entend s’attaquer à la structure du capital, trouver des actionnaires stables, européens. « Une fois que nous aurons recréé de la valeur, la question de la présence des fonds américains se posera. Il faudra un ancrage européen », lâche celui qui assume son patriotisme. Avant de formuler cette prévision : en 2030, Atos sera une entreprise comme les autres et pourra alors ambitionner de redevenir un joyau.
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