"Les marchés américains sont donc hypersensibles, car ils vont devoir cesser de rêver à l’économie des Goldilocks (Boucles d’or), au plein emploi et sans hausse de prix, ni trop chaude (inflation), ni trop froide (récession)." (crédits : Adobe Stock)
Les marchés financiers se portent plutôt bien. De nouveaux records de hausse ont été atteints dernièrement, mais est-ce durable ? Les grandes bourses mondiales, surtout américaines, naviguent entre volatilité et fébrilité. Jean-Paul Betbeze explique sur quoi repose cette hypersensibilité des marchés.
Plus exactement : pourquoi ces marchés financiers américains hypersensibles ? La réponse parait évidente : c’est Donald Trump, avec ses décisions, ses foucades et ses tweets ! Mais ceci n’explique pas tout. De fait, les marchés financiers américains sont les plus secoués de tous, mais ils se trouvent surtout devant une bifurcation : soit cette longue reprise se prolonge, aussi étrange qu’elle soit, avec ce plein emploi si peu inflationniste, bien guidé par la banque centrale américaine ; soit elle s’arrête, fragilisée dans son étrange course, redevient «normale», et se trouve alors cassée par les actions de Donald Trump. Pour aller où ? Les marchés financiers américains se demandent si ce conte de fée va durer, depuis la sortie de crise, avec cette Bourse qui résiste à la hausse des taux longs, ou s’il va se briser.
«Surchauffe», le mot qui fâche
La série de nouvelles à « déglutir » est inouïe : hausse des droits de douane de 25% sur l’acier le 2 mars demandée par le Président Trump ; tensions militaires permanentes avec la Chine et la Russie ; le 27 février, Jerome Powell, qui succède à Janet Yellen, fait son premier exposé devant la commission des services financiers de la Chambre des représentants. Il lit ses notes, puis viennent les questions, et il dit que «pour juger de l’évolution de la politique monétaire au cours des prochaines années, le comité veillera à la fois à éviter une surchauffe de l’économie et à porter durablement l’inflation à 2%... Nous allons analyser les développements intervenus depuis la réunion de décembre et allons actualiser nos anticipations lors de la réunion du mois de mars». «Surchauffe», «actualiser» : les marchés se disent qu’il n’y aura pas 3 mais 4 hausses de taux en 2018, et chutent ! Le lendemain, au Sénat, on ne parlera plus de «surchauffe». Les mots comptent.
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Car les marchés américains ont les nerfs à fleur de peau. Le 5 février, on calcule que 200.000 nouveaux emplois ont été créés en janvier aux Etats-Unis contre 180.000 prévus, avec une hausse du salaire horaire à 2,9% sur un an (26,74$), après +2,7% en décembre. Le plein emploi s’installerait, mais avec des salaires de base en accélération, sachant que de nombreuses compagnies ont annoncé, en plus, des hausses de salaires (et des primes) suite à la baisse des impôts décidée par Donald Trump. Les taux longs montent et font plonger les Bourses – qui ne s’en sont pas remises.
Qui croire et qui suivre ?
Tout se passe comme si les marchés financiers avaient «acheté» toutes les bonnes nouvelles : reprise mondiale synchrone et non inflationniste, baisse historique de la volatilité, reprise américaine d’une exceptionnelle durée, profits records et liés désormais aux baisses d’impôts... et qu’ils regardent désormais l’autre côté des choses. Alors l’inflation pourrait monter dans le logement… si on freine les importations de bois canadien et réduit le nombre d’ouvriers étrangers ! Le prix de l’acier importé de Chine serait plus élevé… si on augmente les taxes à l’importation, et donc les autos ! Les biens et services importés seraient plus chers… si le dollar baisse ! Vérités premières, qui refont surface, au moment où on s’interroge sur le doigté de Powell dans un contexte que Donald Trump complique à plaisir et dans une atmosphère mondiale qui s’alourdit.
Les marchés américains sont donc hypersensibles, car ils vont devoir cesser de rêver à l’économie des Goldilocks (Boucles d’or), au plein emploi et sans hausse de prix, ni trop chaude (inflation), ni trop froide (récession). Certains y croyaient avec Obama et Yellen, mais Trump veut secouer et forcer la fragile machine, et Yellen est partie (Obama aussi). Aujourd’hui, les marchés se demandent qui croire, et qui suivre.
Jean-Paul Betbeze est membre du Cercle des economistes et fondateur de Betbèze Conseil
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